Les nouvelles demandes de réparations de la Pologne à l’Allemagne pour les dommages que celle-ci lui a infligés pendant la 2ème guerre mondiale

 

Par M. le  Prof. E.h. Dr. Klaus-Heinrich Standke, Berlin, ancien directeur aux Nations Unies, président du Comité pour la promotion de la coopération franco-germano-polonaise (Triangle de Weimar).

I

Il y a cinq ans, Jaroslaw Kaczynski, chef du parti national-conservateur au pouvoiren Pologne, a chargé une commission parlementaire d’évaluer les dommages causésà la Pologne par l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale :« Les Allemands ont envahi la Pologne et nous ont infligé des dommages incroyables, l’occupation a été particulièrement cruelle. La Pologne va maintenant demanderdes réparations. Et la somme est tout à fait gérable pour l’économie allemande surdes décennies. » Pour le Premier ministre de la République de Pologne, MateuszMorawiecki, la question de l’indemnisation n’est pas non plus réglée, « parce que la Pologne a été très mal traitée en ne recevant pas de réparations ». Avant l’arrivée de la ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock à Varsovie le 3 octobre 2022, son collègue polonais Zbigniew Rau avait signé une note diplomatique adressée au gouvernement fédéral sur les demandes de réparation de son pays.

Lors d’une conférence de presse conjointe le 4 octobre suivant, la ministre allemande a réitéré le point de vue du gouvernement fédéral selon lequel l’affaire est considérée comme close. Le ministre polonais des Affaires étrangères, quant à lui, a exprimé l’espoir que le point de vue du gouvernement fédéral changerait.

Le 1er septembre 2022, pour le 83e anniversaire de l’invasion allemande de la Pologne et soixante-dix-sept ans après la fin de la guerre, le rapport de la commission parlementaire d’experts a été présenté au château royal de Varsovie. Le document, divisé en neuf chapitres, comprend plus de 500 pages. Il s’agit, entre autres, d’évaluer les pertes humaines, les destructions matérielles et les pertes de biens culturels et artistiques. Les dommages de guerre à réclamer à la République fédérale sont estimés à 1,3 billion d’euros, ce montant correspond à six fois les recettes attendues dans le budget actuel de la République fédérale d’Allemagne.

Le co-auteur du rapport sur les dommages, Arkadiusz Mularczyk, membre de la Diète polonaise et président de la commission parlementaire sur l’indemnisation, part de l’idée que ce n’est qu’au terme d’un « long processus » qu’il sera possible d’aboutir. De son point de vue, on n’aurait jusqu’à maintenant pas conscience en Allemagne de ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale, la publication est destinée à provoquer une prise de conscience – non seulement en Allemagne, mais aussi aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Israël et dans d’autres pays.

Le 15 septembre 2022, l’opposition à la Diète s’est associée au plan du gouver-nement visant à demander réparation à l’Allemagne pour les dommages de guerre causés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le vice-président du principal parti d’opposition, la Plateforme civique (PO), Tomasz Siemoniak, a déclaré que « … Bien entendu, un futur gouvernement PO poursuivra également cette préoccupation dans un souci de continuité… Pour obtenir quoi que ce soit de l’Allemagne, vous avez besoin de dialogue et de relations correctes avec lui. » La résolution a été approuvée par une majorité écrasante de 418 des 437 députés présents. Le Frankfurter AllgemeineZeitung titrait le 22.09.2022 : « L’Allemagne, éternelle débitrice ? »

II

La question des réparations allemandes à la Pologne à la suite de la Seconde Guerre mondiale a été définitivement réglée dans le cadre des négociations « Deux plus quatre » à Moscou par la cession irrévocable des territoires allemands à l’est de la ligne Oder-Neisse. Ces territoires représentaient environ un cinquième de la superficie du Reich allemand et ont entraîné l’expulsion d’un septième de sa population. À la suite du pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et du traité frontalier et d’amitié germano-soviétique du 28 septembre suivant, la Pologne avait perdu un territoire d’une superficie de 201 000 km², soit 52,1 % de son territoire total, au profit de l’Union soviétique. Près de 40 % des personnes qui y vivaient parlaient le polonais comme langue maternelle, 34 % l’ukrainien et le ruthène, 15 % le biélorusse et 8,4 % le yiddish. En outre, des Russes, des Lituaniens, des Tatars, des Arméniens, des Allemands, des Tchèques et d’autres y vivaient également, soit un total de 13,2 millions de personnes. Pendant l’occupation soviétique, des parties du territoire occupé ont été intégrées dans les Républiques soviétiques socialistes de Biélorussie et d’Ukraine. On ignore si le gouvernement polonais aurait réclamé la restitution de ses anciens territoires polonais à l’Union soviétique après la fin de la guerre ou à la Biélorussie ou à l’Ukraine après avoir recouvré sa souveraineté étatique. À la lumière des demandes de réparations de la Pologne à l’Allemagne, cela aurait eu d’une certaine façon du sens, mais le temps pour cela est manifestement révolu.

Depuis le 24 février 2022 au plus tard, la Pologne soutient de manière exemplaire l’Ukraine, qui craint pour sa survie en tant qu’État après la guerre d’agression et de destruction russe. L’Allemagne fait partie de la solidarité occidentale qu’à juste titre le gouvernement PiS exige de l’Allemagne vis-à-vis de l’Ukraine. Outre l’aide militaire dans le cadre de la communauté occidentale, l’Allemagne occupe la deuxième place – après la Pologne – pour l’accueil d’un million de réfugiés ukrainiens. L’image de l’ennemi allemand que propage actuellement la Pologne est d’autant plus frappante que même dans les jours les plus froids de la guerre froide, aucun des gouvernements communistes de la République populaire de Pologne de l’époque n’en ont fait à ce point usage. Peut-être que l’espoir exprimé, à vrai dire dans un contexte différent, par le ministre des Affaires étrangères Zbigniew Rau le 4 octobre 2022 deviendra réalité, à savoir que l’attitude de son gouvernement envers l’Allemagne pourrait changer un jour.

III

Avec la signature le 12 septembre 1990 à Moscou du Traité Deux plus Quatre « portant règlement définitif concernant l’Allemagne » dans l’hôtel « Octobre » par les ministres des Affaires étrangères des quatre pays vainqueurs et des ministres des Affaires étrangères des deux États allemands, la question d’éventuelles réparations allemandes aux pays en guerre contre le Reich allemand pendant la Seconde Guerre mondiale – y compris la Pologne – a été définitivement réglée en droit international. Lors des négociations qui ont préparé le traité « Deux plus quatre » les six ministresdes Affaires étrangères se sont réunis le 5 mai 1990 à Bonn, le 22 juin 1990 à Berlin-Est et le 13 juillet 1990 à Paris. Le gouvernement polonais avait précédemment réclamé d’être impliqué dans les négociations, mais le président américain George W. Bush avait lors d’un entretien téléphonique fait savoir en mars 1990 au Premier ministre Tadeusz Mazowiecki qu’il faisait confiance au gouvernement allemand et queMazowiecki devrait le faire également. Comme la Pologne ne comptait pas parmi les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale, il était hors de question quela Pologne participe sur un pied d’égalité aux négociations « Deux plus Quatre ».

Le ministre soviétique des Affaires étrangères, Édouard Chevardnadze, a également exhorté la Pologne à accepter le format « Deux plus Quatre ».

Afin de sauvegarder les intérêts de la Pologne, le ministre polonais des Affaires étrangères, le professeur Krzysztof Skubiszewski, un internationaliste respecté puis juge à la Cour internationale de Justice de La Haye, a participé en tant qu’invité à la seule réunion « deux plus cinq » qui a eu lieu le 13 juillet 1990 à Paris. Le ministre français des Affaires étrangères, Roland Dumas, qui présidait la réunion de Paris, a indiqué dans ses mémoires Le Fil et la Pelote que son collègue polonais Skubiszewski l’avait contacté avant la réunion de Paris. Il était important pour lui qu’en plus du traité germano-polonais prévu sur les frontières, l’accord « Deux plus Quatre » qui interviendrait à Moscou comprenne une garantie solide en droit international pour la pérennité de la frontière germano-polonaise. Les pourparlers de Paris se sont donc concentrés – avec l’approbation expresse du président François Mitterrand – sur le règlement de la question jusque-là ouverte de la frontière occidentale de la Pologne.

L’ancien ambassadeur Frank Elbe, décédé à Bonn en mai 2022, a participé aux négociations de Paris ainsi qu’à la réunion finale à Moscou en tant que conseiller du ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher, a déclaré : « Je me souviens encore des remarques détaillées et émouvantes du ministre polonais des Affaires étrangères Skubiszewski sur le traité de bon voisinage, qui devait régler l’avenir desdeux États… ».

Des demandes de réparation au-delà de cette exigence de reconnaissance de la frontière germano-polonaise n’ont été formulées par aucune partie à Paris. Le ministre Dumas en tant que « témoin oculaire » a précisé dans un courriel adressé à l’auteur du 11.09.2017 : « La question de réparation de la guerre a été réglée dans les différents traités que nous avons négociés. »

Après son retour à Varsovie, le ministre Skubiszewski a, dans son rapport à la Diète polonaise, qualifié les résultats de la Conférence de Paris de « succès pour la Pologne ». L’accord conclu à Paris est reflété dans l’article 1 du traité « Deux plus Quatre » signé à Moscou le 12.09.1990 :

  1. L’Allemagne unie comprendra le territoire de la République fédérale d’Allemagne, de la République démocratique allemande et de l’ensemble de Berlin. Ses frontières extérieures seront les frontières de la République fédérale d’Allemagne etde la République démocratique allemande et seront définitives à partir de la date d’entrée en vigueur du présent Traité. La confirmation du caractère définitif desfrontières de l’Allemagne unie constitue un élément essentiel de l’ordre de paix en Europe.
  1. L’Allemagne unie et la République de Pologne confirmeront la frontière existanteentre elles par un traité ayant force obligatoire en vertu du droit international.

Le 14 novembre 1990, c’est-à-dire immédiatement avant l’entrée en vigueur de la réunification allemande le 3 octobre 1990, le traité frontalier germano-polonais a été signé à Varsovie par les ministres des Affaires étrangères des deux pays, KrzysztofSkubiszewski et Hans-Dietrich Genscher. Le 17 juin 1991, le traité frontalier a été complété à Bonn par le « Traité germano-polonais de bon voisinage », qui porte les signatures du chancelier fédéral Helmut Kohl et du ministre des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher, d’une part, et du Premier ministre polonais Jan Krzysztof

Bielecki et du ministre des Affaires étrangères Krzysztof Skubiszewski, d’autre part. À l’occasion des 11es consultations intergouvernementales germano-polonaises, qui se sont déroulées le 21 juin 2011 sous la présidence du Premier ministre DonaldTusk et de la chancelière fédérale Angela Merkel, les gouvernements des deux pays ont publié une déclaration commune : « Le traité de bon voisinage et de coopération amicale, dont nous célébrons aujourd’hui le 20e anniversaire, a créé un fondement stable pour notre coopération tournée vers l’avenir. Avec le traité sur la confirmation de la frontière commune, il constitue le fondement des relations de bon voisinage et de partenariat sans lesquelles l’Europe unie d’aujourd’hui serait inconcevable. » Les deux parties ont convenu d’un partenariat encore plus étroit à l’avenir afin de poursuivre le processus de réconciliation entre Allemands et Polonais. Lors de la réception de l’ambassade d’Allemagne à Varsovie à l’occasion de la Journée de l’unité allemande le 3 octobre 2022, la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a mis en garde contre le danger d’une érosion de ce qui a été atteint avec le traité de bon voisinage germano-polonais de 1991.

IV

Les dernières demandes de la Pologne pour des réparations d’un montant de plus d’un billion d’euros sont, en droit international, irrecevables et tendent vers l’impossible. Et ce n’est pas tout. À l’heure actuelle, dans le contexte des récentes tensions entre Berlin et Varsovie, ils ouvrent de vieilles fractures des deux côtés, qui, espérait-on, étaient surmontées depuis longtemps au cours des décennies de coopération amicale et de bon voisinage entre les deux pays. Le processus de réconciliation entre les deux peuples, compte tenu de la monstruosité de la guerre provoquée par les Allemands, sera une tâche non seulement pour ceux qui vivent maintenant, mais aussi pour les générations futures des deux pays. Il faut également garder cela à l’esprit dans le débat qui vient de s’enflammer.

– Traduit de l’allemand par Jérôme Vaillant