Il n’y a pas d’alternative au couple franco-allemand.

Il n’y a pas d’alternative au couple franco-allemand

La France et l’Allemagne, si éloignées et pourtant si proches.

Par Cyrille Schott, ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), membre d’EuroDéfense-
France, Strasbourg, et Hartmut Bühl, éditeur,Paris.

Quand le nouveau président français a été élu en 2017, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel lui a consacrésa première page, avec le titre « Teurer Freund », « cher ami », au sens de « coûteux ami », et ce commentaire : « EmmanuelMacron sauve l’Europe…et l’Allemagne doit payer. » Des années plus tôt, le 24 juillet 2013, le quotidien français Le Monde avait publié une tribune intitulée « L’Allemagne, une
puissance économique égoïste », un thème repris parl’hebdomadaire Le Point du 28 septembre 2021, dans une libre opinion «Sortons de l’illusion du couple franco-allemand»,avec un sous-titre « Egoïsme allemand ». Eloignement et proximité sont, en effet, des traits de la relation franco-allemande.

Une politique mondiale face à une politique économique

La France, fière de son siège au conseil de sécurité de l’ONU,de sa force nucléaire, de ses forces armées rodées aux expéditions, du rayonnement dû à sa langue et à son histoire de nation des Lumières, de la Révolution et des droits de l’homme, tourne le regard vers le vaste monde. La France a une vue spéciale sur l’Afrique et grâce à ses territoires ultra-marins – sa zone économique exclusive (ZEE), avec près de 11 millions de km2, n’est dépassée que de quelques km² parcelle des Etats-Unis – elle possède des intérêts dans tous lesocéans.

L’Allemagne, qui n’est un Etat-nation que depuis 1871, a connu par la suite une histoire pleine de turbulences, marquée par les douze années de la dictature criminelle d’Hitler. C’est aujourd’hui une démocratie avancée, ancrée profondément dans la population. Sa politique étrangère est orientée vers le continent, spécialement l’Europe centrale et orientale, où ses intérêts sont historiquement
fondés. Fiers de la reconstruction de leur pays relevé des ruines de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands œuvrent encore à établir la cohésion entre eux après la réunification en 1990 de leur pays divisé. Ils croient en la force de leur économie avec de solides petites et moyennes entreprises, ce Mittelstand qui en constitue l’épine dorsale et qui est tant envié en France. Ce Mittelstand permet à l’Allemagne d’être l’une des premières puissances exportatrices mondiales. Les Allemands se voient comme la principale nation industrielle en Europe et vantent le Made in Germany.

Les relations commerciales entre la France et l’Allemagne montrent un déséquilibre au détriment de la première. Il en va de même pour la situation de l’emploi. Cependant, des forces du côté français contrebalancent ces manques. La démographie y est plus dynamique, avec une population plus jeune. Le système bancaire y est plus solide et le pays dispose de longues côtes ouvertes sur
l’Atlantique et la Méditerranée. Les Allemands s’irritent aisément des prétentions de celle parfois nommée ironiquement la Grande Nation,incapable de mettre en ordre ses comptes. Les Français, pour leur part, se plaisent, avec d’autres Européens, à juger à courte vue la politique économique allemande, qui n’use pas de ses capacités budgétaires et tire les bénéfices du marché unique et de la zone
euro sans songer au retour vers les autres pays.

Des cultures politiques différentes.

Le terrain institutionnel illustre les décalages. Les Allemands croient en leur système fédéral, avec 16 Länder, qui ne sont pas de simples régions, mais des Etats fédérés, chacun avec sa propre capitale culturelle et un gouvernement complet, avec ministres et autorité financière. Le régime est parlementaire, avec des partis qui discutent âprement d’un contrat de gouvernement, qui devra être respecté, et un Bundestag à Berlin, qui contrôle sourcilleusement le gouvernement et ses engagements, spécialement militaires, à l’étranger. La décentralisation est ancrée dans l’organisation du pays.
La République française est unitaire et, quoique décentralisé, l’Etat reste bien présent dans l’administration du territoire. Sauf en période de cohabitation où le Premier ministre vient d’un autre parti, la gouvernance du pays est dominée par le Président de la République, doté d’un vaste pouvoir, notamment pour lancer des opérations militaires extérieures. La France toutefois fait preuve aussi de souplesse : dans la gestion budgétaire, à la rigueur germanique s’oppose la souplesse française, mais dans la gouvernance des entreprises, à la Mitbestimmung, la cogestion, où les représentants du personnel participent à la direction des sociétés, fait face un système français qui peine, malgré des progrès, à sortir de l’affrontement entre un patronat rétif à tout partage du pouvoir et des syndicats qui ne sont pas tous réformistes.

Compromis contre confrontation

La vie de la société reflète les contrastes de la culture du consensus en Allemagne et de celle plutôt de la confrontation en France, objet d’un jugement ambigu des Allemands : critique de l’inclination à la grève et du manque de discipline, jointe à l’admiration devant la capacité du peuple français à ne pas s’incliner devant l’autorité et à défendre les libertés. Les stéréotypes vivent dans la culture populaire. Les Allemands seront enclins à dire: « Die Franzosen arbeiten um zu leben, wir leben um zu arbeiten », « Les Français travaillent pour vivre,nous vivons pour travailler », ils critiqueront la frivolité, mais ajouteront aussitôt, envieux et admiratif : « Leben wie Gott in Frankreich », « Vivre comme Dieu en France ! », et il aiment l’élégance française et les chansons, ils rêvent de Paris et de ses lumières. Le Français, au contraire, sourira de la «lourdeur germanique», mais louera «le sérieux et la rigueur germaniques. » Quand les Français aiment la grandeur, les Allemands privilégient la prudence, si le Français se veut créateur, l’Allemand veille à bien entretenir ce qu’il a bâti.

Le dialogue délicat entre la France et l’Allemagne

Le dialogue Merkel-Macron a dévoilé ces traits divergents : prudence et culture du consensus chez l’une, acceptation de la confrontation et de l’idée d’incarner une grande nation chez l’autre ; agacement du Français devant la lenteur allemande,
irritation chez l’Allemande de la fougue française. Les sujets de désaccord ne manquent pas : place du nucléaire dans la transition énergétique, avenir du pacte de stabilité et de croissance, endettement collectif de l’UE, relation avec les Etats-Unis et définition de la souveraineté européenne. Les tentations propices à l’éloignement sont là : l’allemande de se rapprocher des « frugaux » d’Europe du Nord et d’être à
l’écoute de l’Europe centrale, même souverainiste, la française d’une entente plus étroite avec l’Europe du Sud, comme en ont témoigné l’accord sur l’Union pour la Méditerranée (2008), qui a vu la France dans un rôle moteur, et le traité du Quirinal
de novembre 2021 avec l’Italie.

L’ouverture de la voie vers l’unité de l’Europe

Et pourtant ! Le miracle de la paix européen est le fruit de la réconciliation franco-allemande, dont des images sont gravées dans l’imaginaire collectif : De Gaulle et Adenauer à la messe pour la paix dans la cathédrale de Reims en 1962, puis signant en janvier 1963 le Traité de l’Elysée ; Schmidt et Giscard d’Estaing, symboles vivants de l’amitié franco-allemande ; la poignée de main de Kohl et Mitterrand à Verdun
en 1984.
Les liens entre les dirigeants français et allemands, leur concertation constante sont uniques dans les relations entre nations. Ces liens ont encore été renforcés par le Traité d’Aix la Chapelle, conclu en janvier 2019 dans la cité où repose le premier unificateur de l’Europe, Charlemagne, dont l’empire a donné naissance tant à la France qu’à l’Allemagne. Une assemblée parlementaire commune a été constituée en 2020 et s’est attelée au travail.

“En vérité, il n’y a pas d’alternative au couple franco-allemand. C’est par son dialogue constant, même s’il n’est pas toujours aisé, que les initiatives sont nées et que les crises, ces moteurs de la construction européenne, peuvent être gérées.“

Les grandes avancées européennes, tels le marché unique et l’euro, viennent du couple franco-allemand. C’est l’accord Macron-Merkel en mai 2020 qui a ouvert la voie au plan de relance européen et à l’émission d’emprunts communautaires, une révolution budgétaire pour l’Union. Et derrière ce plan, le nouveau chancelier, Olaf Scholz, alors ministre des finances de Merkel, qui, pour le réaliser, a bouleversé la doctrine financière allemande ! Malgré leurs divergences sur maints sujets, Macron et Merkel ont œuvré à consolider l’euro pendant la crise sanitaire. A travers la coopération pour l’armement, ils ont lancé des projets, comme l’avion de combat du futur – programme auquel s’est associé l’Espagne –, décisifs pour la défense de l’Europe.

Un regard positif vers l’avenir

Le contrat de coalition de novembre, entre SPD (les sociaux-démocrates), le Bündnis90/Die Grünen (les Verts) et FDP (les libéraux), fait moins référence à la relation spéciale avec la France que le précèdent de 2018 de la Grande Coalition. Il
proclame, selon la tradition, le caractère central du partenariat transatlantique. Cependant, en affirmant l’ancrage européen de l’Allemagne et l’ambition d’une « souveraineté stratégique » européenne, en s’engageant en faveur d’une véritable politique de sécurité et de défense en Europe, en jugeant possible de progresser plus vite avec les Etats volontaires, en visant l’achèvement de l’union bancaire, en évoquant la souplesse du pacte de stabilité, en envisageant des listes transnationales et l’extension du vote à la majorité qualifiée y compris pour les affaires extérieures et la défense, il ouvre des perspectives pour de nouvelles collaborations dans l’esprit du discours de la Sorbonne de 2017 de Macron, « pour une Europe souveraine, unie et démocratique ».
Quand les journalistes de l’hebdomadaire allemand DIE ZEIT ont demandé à Olaf Scholz : « Où vous conduira votre premier voyage à l’étranger ? », il a répondu sans hésitation aucune : « À Paris », et il a ajouté : « L’amitié entre l’Allemagne et la France est à la base du succès de la coopération au sein de l’Union européenne dans son ensemble ».
Lors de cette visite, le nouveau chancelier a confirmé qu’il avait compris l’essence du discours du président Macron à la Sorbonne. Et la jeune ministre allemande des Affaires étrangères, issue des Verts, Analena Baerbock, a déclaré dans la capitale française que la conséquence de la souveraineté européenne est qu’il y devait y avoir un Etat ! Elle était en cohérence avec le contrat de coalition, qui appelle de ses vœux l’avancée vers un État fédéral européen. Il est improbable que
la France et d’autres pays européens veuillent aller aussi loin. En tout cas, le dialogue est relancé avec une ouverture à laquelle le gouvernement français ne s’attendait pas! Le dialogue se poursuivra entre ces deux pays fondamentaux pour
le progrès de l’Europe.
En vérité, il n’y a pas d’alternative au couple franco-allemand. C’est par son dialogue constant, même s’il n’est pas toujours aisé, que les initiatives sont nées et que les crises, ces moteurs de la construction européenne, peuvent être gérées. Simplement, ce tandem doit être capable d’élargir son tête-à- tête à d’autres partenaires, pour que soient prises en compte les préoccupations de toutes les parties du continent. C’est l’un des angles sous lesquels le traité franco-italien peut être analysé.
Nous portons foi à un dicton de Bruxelles, selon lequel « il n’y a pas lieu de craindre pour l’Union quand le tandem de la France et de l’Allemagne se porte bien ! »