« Le Parlement européen doit rester à Strasbourg et non déménager à Bruxelles! »

FIGAROVOX/TRIBUNE – Dans sa lettre de réponse à Macron, Annegret Kramp-Karrenbauer, la présidente de la CDU, demande de mettre fin à « l’anachronisme» du siège strasbourgeois du Parlement européen et d’installer celui-ci à Bruxelles.

Cyrille Schott s’y oppose et pense que ce serait une perte immense pour l’Europe.
Cyrille Schott, préfet honoraire de région, ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).

Annegret Kramp-Karrenbauer, la présidente de la CDU, vient de proposer de mettre fin à « l’anachronisme » du siège strasbourgeois du Parlement européen et d’installer celui-ci à Bruxelles. Cette prise de position fait suite à une déclaration,
allant dans le même sens, de la chancelière allemande, Angela Merkel, lors d’une réunion du parti populaire européen à Munich en juin 2018. Nos amis allemands semblent donc, en tout cas du côté de la droite, lâcher Strasbourg ! L’animosité de députés britanniques, voire du leader populiste italien du mouvement 5 étoiles, contre Strasbourg est une chose, venant d’élus hostiles ou du moins fort réservés envers l’Union européenne. Le retournement des responsables allemandes est infiniment plus grave, car il vient de nos plus proches partenaires, pour lesquels Strasbourg a, de surcroît, une forte signification historique et sentimentale.
Les arguments en faveur de Bruxelles sont des arguments de commodité, d’efficacité et de finances. Se déplacer à Strasbourg est pénible, soutiennent une majorité de députés européens. Ce déplacement est coûteux, ajoutent-ils, c’est du gaspillage d’argent public. Enfin, siéger toujours à côté de la Commission européenne et du Conseil des ministres à Bruxelles contribuerait à une efficacité plus grande des institutions européennes. Ces arguments ont été réfutés. Alors que les opposants à Strasbourg soutiennent que le siège législatif y coûterait 200 millions d’euros par an, les services du Parlement eux-mêmes évaluent ce coût à
50 millions d’euros, soit 0,0003 % des 160 milliards d’euros du budget 2018 de l’Union européenne. Les déplacements à Strasbourg demandent, certes, un petit effort à nos députés, malgré les améliorations apportées à la desserte de notre
capitale européenne, mais cet argument de commodité est-il si décisif ? Enfin, quant à l’efficacité, la proximité de l’exécutif européen existe déjà pour les réunions des commissions du Parlement et pour les six sessions annuelles dites supplémentaires, par rapport aux douze ordinaires à Strasbourg.
Les arguments avancés pour Bruxelles sont des arguments « technocratiques ». En vérité, l’efficacité du travail entre les instances européennes tient dans la volonté d’avancer, ou non, sur certains sujets et non aux lieux de réunion. Au demeurant, sous l’angle de l’efficacité, ainsi d’ailleurs que du coût, il conviendrait plutôt de s’interroger sur l’intérêt de laisser le secrétariat du Parlement à
Luxembourg. Les arguments avancés pour Bruxelles sont des arguments « technocratiques». Bruxelles est, il est vrai, la capitale des techniciens de l’Europe, la ville où s’élaborent les compromis permettant à l’Europe d’avancer. Son rôle est incontournable, même si, à certains moments, il est ingrat. C’est Bruxelles qui est la cible de la méfiance ou de la colère de tous ceux qui vilipendent l’Europe, souverainistes ou groupes de pression insatisfaits des politiques européennes. C’est l’Europe de Bruxelles qui est accusée de n’être pas assez démocratique ou d’ignorer la volonté des peuples, etc. Ces critiques sont dans l’ensemble injustes et il serait souhaitable que les dirigeants des États membres défendent le travail accompli à Bruxelles plus efficacement qu’ils ne le font généralement. Que cela soit juste ou non, toujours est-il que Bruxelles concentre les critiques. Cette ville n’incarne pas le rêve d’Europe, de ce « miracle de la paix », selon l’expression de Pierre Pflimlin.
Dans son histoire, Bruxelles a deux fois tenu une place dans l’aventure européenne. La première du temps des grands-ducs d’occident, de ces ducs de Bourgogne, qui possédaient des territoires à la fois dans le Saint Empire romain germanique et
dans le royaume de France, et dont la construction se disloqua, après la mort de Charles le Téméraire en 1477. La seconde fois, en 1556, lorsque l’empereur Charles Quint, épuisé par ses échecs, abdiqua. Cette capitale de l’ancien duché de Brabant,
disputée aujourd’hui entre les Wallons et les Flamands, n’a rien dans son histoire de nature à alimenter le rêve européen.
C’est à Strasbourg que celui-ci s’incarne. C’est autour de Strasbourg et de l’Alsace que la France et l’Allemagne se sont
affrontées, que l’Europe s’est déchirée. Et c’est là qu’elle s’est retrouvée !
C’est à Strasbourg que s’est constituée la première assemblée européenne, le Conseil de l’Europe, qui veille spécialement au respect de l’État de droit. La Cour européenne des droits de l’Homme en est fille, elle qui, selon les paroles du pape François, « constitue en quelque sorte la « conscience» de l’Europe…» C’est aussi à Strasbourg que les consciences du Monde, comme Nelson Mandela, sont
récompensées par le prix Sakharov, le «Nobel de la paix européen», attribué par le Parlement européen. C’est dans cette cité que les droits humains sont inscrits au coeur même des institutions qui y siègent.
C’est à Strasbourg que se lèvent les voix incarnant l’Europe. Les chefs d’État viennent y présenter, devant le Parlement de l’Union, leur vision de l’Europe et peuvent s’y faire rappeler, comme il y a peu Orban, le dirigeant hongrois, les valeurs la fondant. Les papes Jean-Paul II et François s’y expriment. L’hommage à un artisan majeur de l’Europe, Helmut Kohl, y est rendu solennellement. Le
discours sur l’état de l’Union y est prononcé par le président de la Commission européenne.
C’est à Strasbourg qu’avec le Parlement, le pouvoir législatif de l’Union s’exprime, en portant une attention particulière à tout ce qui touche aux libertés publiques.
C’est à Strasbourg que se lèvent les voix incarnant l’Europe. Si Bruxelles en devenait la seule capitale, la perte serait immense pour l’Europe. Ne resterait comme capitale qu’une ville de techniciens et de politiques à la recherche de compromis. Et le Parlement ne s’inscrirait plus que dans cette image, en renonçant à tout ce qui fait la spécificité de Strasbourg dans l’imaginaire européen.
C’est à Strasbourg que bat l’âme de l’Europe. Elle en est la capitale spirituelle, où souffle l’esprit. Qui aime l’Europe, aime Strasbourg ! Ce sont les pragmatiques, pour ne pas dire les boutiquiers, n’ayant qu’une vision technocratique, matérialiste,
marchande de l’Europe, qui luttent contre la place de Strasbourg en son coeur vibrant.

Cyrille Schott

Membre de l’AFDMA, Délégué régional pour le Grand Est (Alsace).