Les jumelages, coeur battant de l’Europe
À l’heure des séjours Erasmus et des réseaux sociaux, on les avait presque oubliés… 2 200 jumelages associent des collectivités locales françaises et allemandes. Mais ces pionniers du rapprochement franco-allemand devenus les fers de lance de la réconciliation entre les deux sociétés dans les années 1960, ne font plus parler d’eux. À tort. Selon une étude de l’Institut franco-allemand de Ludwigsbourg (DFI) et de la Fondation Bertelsmann, ils sont un modèle de partenariat pour la construction d’une Europe vivante et proche des citoyens.
L’étude est la plus vaste jamais réalisée sur les jumelages franco-allemands. Elle s’appuie sur une enquête auprès de 1322 villes situées sur les deux rives du Rhin. Et elle a été motivée par l’actualité.
Crise de la zone euro, montée des partis populistes, Brexit : « l’intégration politique menée depuis des décennies risque de devenir le jouet de formations populistes si l’on ne réussit pas à associer la population au projet européen », met en garde Frank Baasner, directeur du DFI. « Les gens doivent sentir qu’ils font partie d’une communauté européenne. […] Parallèlement à la création d’institutions communes, il faut promouvoir des initiatives qui instaurer une Europe ‘d’en bas unie ».
État des lieux
Mais quelle est la réalité des jumelages aujourd’hui ? Et quelle peut être leur contribution au développement d’une conscience européenne ? L’étude fournit un état des lieux très encourageant. Elle montre que les 2 200 jumelages de villes franco-allemands (sur les 20 000 jumelages existants dans l’Union européenne) sont actifs, efficaces pour créer des liens personnels entre les Européens et, le plus souvent, tournés vers l’avenir.
80 % des personnes sondées jugent ainsi que le jumelage représente « l’Europe en action ». 76 % jugent « très bonnes » les relations avec la ville jumelée. Près des deux tiers indique que leur jumelage est stable ou gagne en intensité (seul un sur cinq estime qu’il est moins actif qu’autrefois). Dans un cas sur trois, plus de 70 personnes vont chaque année dans la ville jumelée. Et près de 60 % des jumelages désirent d’urgence que plus de citoyens s’engagent en leur sein. Bref, les jumelages occupent une place centrale dans le paysage communal.
Les jumelages, victimes de préjugés
L’étude rompt par ailleurs avec un préjugé tenace qui voudrait que les jumelages incarnent un héritage vieillissant du rapprochement franco-allemand. Certes, les plus âgés y sont surreprésentés. Mais il est remarquable qu’un quart des participants a moins de 30 ans.
L’analyse permet aussi de constater que la volonté d’ouvrir des perspectives aux jeunes constitue une motivation croissante des activités des comités de jumelage. Les échanges scolaires, les rencontres de jeunes et les rencontres entre associations, sportives ou musicales par exemple, jouent un rôle pivot. Et la majorité des jumelages se sont adaptés à leur époque. Ils proposent de nouveaux formats d’échanges, tels que les échanges de stagiaires et les offres de jobs d’été.
Autre préjugé, autre erreur : les jumelages sont loin de ne mobiliser que des publics diplômés, ou déjà très investis en faveur de la construction européennes. Ce n’est le cas que dans un dixième des communes interrogées. À l’échelle nationale, le constat est tout autre : les jumelages touchent toutes les couches de la population. Et ils atteignent des personnes qui ne s’intéressent pas à l’Europe en soi, car les échanges reposent le plus souvent sur le partage d’activités de loisirs, de hobbies et les contacts entre clubs.
L’époque des années 1960 et 1970, où la volonté de réconciliation entre les deux pays était très présente, semble ainsi révolue. « Créer des opportunités pour la jeune génération », « contribuer à la construction d’une Europe pacifique » ou « faire tomber les préjugés » restent des motivations durables. Mais la volonté d’élargir les horizons des citoyens a gagné en importance.
La rencontre personnelle, base de la construction d’une Europe des citoyens
C’est d’ailleurs ce qui fait toute la richesse et tout le potentiel de ces jumelages pour l’avenir. « La plus-value particulière réside dans la rencontre personnelle et la découverte des conditions de vie sur place », note l’étude. L’expérience de l’hospitalité et de l’accueil dans un environnement inconnu, ainsi que les rencontres « amènent à une conscience de la vie réelle dans le pays partenaire et rendent celle-ci tangible ».
Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la langue n’est pas un obstacle. Lorsque les compétences linguistiques font défaut, une personne bilingue du groupe, l’aide de l’anglais ou celle des traducteurs automatiques sur internet est toujours disponible.
Dans ces conditions, les jumelages contribuent à la formation d’une conscience européenne et à l’émergence d’un sentiment d’appartenance à l’Europe, conclut l’étude. Loin d’être une forme dépassée de coopération, ils semblent plus utiles et plus actuels que jamais. Et ils « agissent également comme une barrière contre les courants eurosceptiques ».
Dans le contexte européen actuel, cela n’est pas anodin. Lors d’une présentation de l’étude au Goethe Institut de Paris mardi 23 janvier, Joachim Fritz-Vannahme, Senior Advisor à la Fondation Bertelsmann, a relevé une information : le Royaume-Uni, qui a voté le Brexit, est aussi l’un des pays européens qui compte le moins de jumelages…
Source : CIDAL