Lettre d’information n°64, octobre 2025.
LA LETTRE D’INFORMATION
sur les relations franco-allemandes et l’Allemagne
N° 64. Octobre 2025.
Responsable de la rédaction : Bernard Viale.
Délégué à la « Communication ».
Le mot du Président
Chers membres de l’AFDMA, chers amis,
« Le couple franco-allemand est de retour » s’est félicité le Chancelier Merz fin août à l’occasion du conseil des ministres franco-allemands à Toulon. La réunion de ce conseil est effectivement arrivée à point nommé pour dissiper un sentiment de stagnation, voire même parfois de régression consécutivement à la réintroduction de contrôles à la frontière entre nos deux pays. La coopération franco-allemande y a été cependant particulièrement productive, comme vous pourrez le constater à la lecture de l’article qui lui est consacré dans cette « Lettre », dans les domaines les plus variés et dans une perspective de continuité et d’innovation.
Le tout, du côté français, avec en arrière-plan un gouvernement que l’on disait menacé et qui a démissionné entre temps. Une instabilité politique qui inquiète nos partenaires et amis allemands, accompagnée de mouvements sociaux à l’image dévastatrice dans l’opinion publique.
Du côté allemand, un Chancelier qui s’est libéré de certaines contraintes budgétaires mais qui doit encore trouver ses marques dans un environnement politique marqué par la constante progression de l’extrême droite, comme on a encore pu le constater pour les dernières élections municipales en Rhénanie du Nord – Westphalie, et avec un partenaire de coalition aux options politiques souvent différentes. La gestion des flux migratoires, particulièrement sensible aussi pour l’opinion publique allemande, en est un aspect.
Toutes les questions n’ont pas été résolues à Toulon, à l’exemple de la construction de l’avion de combat du futur, dont la mise en œuvre se heurte encore à des intérêts stratégiques et économiques nationaux fortement divergents. Une position commune sur la question de la Palestine aurait été appréciée, mais les approches françaises et allemandes sont, là aussi, divergentes. Force est cependant de constater que la coopération franco-allemande continue de s’inscrire dans une dynamique d’engagement, de continuité et d’efforts réciproques. Elle reste exemplaire à bien des égards, en tous cas unique dans son ampleur à l’échelle d’autres coopérations bilatérales. L’Europe aura bien besoin de cette force motrice face aux provocations de la Russie, à l’imprévisibilité des Etats Unis et à la pression économique de la Chine, même si elle a beaucoup d’atouts à faire valoir.
« Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage » (Boileau) et mettons tout en œuvre, par delà les aléas du quotidien, pour la réussite de cette belle entreprise commune empreinte d’amitié, de confiance et de solidarité qu’est la coopération franco-allemande au service de l’Europe. Merci de vous y associer !
Bien cordialement,
Général (2S) Bertrand Pflimlin
Sommaire :
Le mot du Président.
Publications :
L’Europe sait-elle faire face ? Par Cyrille Schott.
Une rentrée productive pour le couple franco-allemand.
Gastronomie, par Gérard Foussier.
Imaginaires et réalités de la frontière franco-allemande : un laboratoire pour l’Europe de demain, par Claire Demesmay.
Allemagne d’aujourd’hui : « Les musées allemands à la croisée des chemins : entre mémoire, innovation et défis sociétaux ».
Les manifestations franco-allemandes : les émotions dans les relations internationales à l’image de l’année 1989, à la Maison Heinrich Heine.
Le Festival du cinéma allemand à Paris.
Le Congrès annuel de la FAFA / DFG à Nantes du 17 au 19 octobre.
La vie de l’AFDMA.
Publications
Durant les mois passés, nous avons publié un certain nombre d’articles sur notre site internet www.afdma.fr que nous ne reprenons pas dans cette « Lettre d’information ». Vous les retrouverez en page d’accueil dans le « carrousel d’articles d’actualité » ou « En direct du franco-allemand ».
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« L’Europe sait-elle faire face ?
Par Cyrille Schott
A la fin de l’année dernière, je me demandais si l’Europe saurait faire face au « défi » américain représenté par Trump [1]. Désormais, il convient de se demander si l’Europe sait faire face.
S’agissant de la forme, la réponse s’avère désespérante. Les plus puissants des Européens, comme Keir Starmer ou Friedrich Merz, voire Emmanuel Macron, se rendent tels des vassaux dans le bureau ovale et considèrent remporter un succès lorsqu’ils ne se font pas maltraiter par son occupant. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, rejoint en juillet le golf privé de Donald Trump en Ecosse pour se voir notifier le traitement douanier réservé à l’UE. Le secrétaire général de l’organisation atlantique, ancien premier ministre néerlandais, Mark Rutte, appelle le protecteur américain, « Daddy », « papa », à la réunion de juin de l’OTAN à la Haye, qui se révèle être le sommet de la flagornerie envers Trump. Les Européens se comportent comme si celui-ci était le maître du monde.
Sur le fond, la réponse est pareillement attristante. Malgré sa puissance commerciale, l’UE accepte de faire taxer ses produits par les Etats-Unis sans imposer la même règle aux ventes américaines, s’engage à acheter, pour 760 milliards de dollars, des produits énergétiques américains et à investir 600 Mds de dollars outre-Atlantique. S’agissant de la défense, les Européens, hormis l’Espagne, acceptent le diktat de Trump de porter leur budget de défense et de sécurité à 5 % du PIB, 3,5 % pour les dépenses proprement militaires et 1,5 % pour celles de sécurité. Au sommet de La Haye, ils s’évertuent à le garder dans une unité apparente avec eux, même si ses déclarations suscitent le doute quant à la garantie de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord, et donc l’engagement américain à défendre les alliés en cas d’attaque.
La comparaison avec les puissances qui ne prennent pas Trump pour le maître du monde est frustrante pour les Européens. Xi Jin Ping, le président chinois, ni ne décroche son téléphone pour l’appeler ni n’entreprend de se déplacer chez lui. Il l’oblige en mai dernier à envoyer une délégation à Genève pour négocier les questions commerciales. Il sait user de l’arme des terres rares, dont la Chine est devenue un fournisseur essentiel, pour lui faire lever le pied. Wladimir Poutine, l’agresseur, contre toutes les règles du droit international, de l’Ukraine, obtient en août une rencontre à Anchorage, où Trump multiplie à son égard les gestes d’affection.
Ces comparaisons montrent que l’UE n’a pas la force d’un Etat. Elle représente certes une puissance économique et commerciale majeure, mais elle ne possède pas la puissance politique, militaire et diplomatique. Si elle dispose d’institutions de nature fédérale, elle demeure une structure originale composée d’Etats souverains. Et ceux-ci ont influencé le rapport avec les Etats-Unis de Trump. Ils ont été divisés quant à l’attitude à adopter, pour des raisons tenant à leur plus ou moins grande proximité d’idées avec le président américain, à leurs intérêts industriels et commerciaux, comme le secteur automobile pour l’Allemagne, ou encore au souci de ne pas contrarier le garant fondamental de leur défense, selon le ressenti de pays de l’est au contact de la Russie et de bien d’autres. La tradition française d’une certaine indépendance des Etats-Unis est loin d’être partagée en Europe.
Ces réalités, indéniables, ne doivent toutefois pas voiler le fait que, face au défi, les Européens ne sont pas restés inertes. Dès le lendemain de l’humiliation, en mars 2025, du président Zelensky à la Maison blanche, ils se sont regroupés autour de lui à Londres pour témoigner de leur solidarité. Ils ont accru leur soutien militaire à l’Ukraine, qui est passé devant l’américain. Avant le sommet Trump-Poutine, ils se sont rendus à Washington, pour faire valoir qu’aucun accord avec la Russie ne pourrait advenir sans l’Ukraine et eux.
La réaction européenne s’effectue selon deux piliers complémentaires.
D’une part, l’Union européenne a adopté un livre blanc sur la défense et le programme ReArm Europe, qui prévoit d’aider les Etats membres à des dépenses militaires de 800 Mds €, dont 150 Mds € provenant de fonds prêtés par l’UE grâce à un nouvel emprunt communautaire. Les industries d’armement européennes fonctionnent désormais à plein régime, dopées par les mesures déjà prises au plan communautaire, comme le programme européen d’aide à la production de munitions (ASAP), et par les augmentations des budgets militaires des nations membres, qui ont atteint 326 milliards d’euros en 2024, en augmentation de près d’un tiers par rapport à 2021. Certains Etats commencent à privilégier l’achat d’armements européens au détriment d’américains, ainsi le Portugal qui va acquérir des avions Rafale plutôt que des F35 ou le Danemark qui choisit des batteries sol-air franco-italiennes plutôt que le système de défense anti-aérienne Patriot.
D’autre part, à l’initiative de la France et du Royaume Uni, s’est constituée une coalition des Volontaires, regroupant désormais plus de trente Etats, dont certains non européens, comme le Canada, afin de soutenir l’Ukraine et de mettre en place des garanties de sécurité, dans le cas d’un cessez-le-feu. C’est une alliance de fait menée par les deux principales puissances militaires européennes, rejointes par l’Allemagne, ainsi que par l’UE.
Sur le plan commercial, si l’accord avec les Etats-Unis correspond à une défaite politique de l’UE, il n’a pas forcément la même signification sur le terrain purement économique, ce que plaide la Commission européenne, ainsi qu’un certain nombre d’économistes.
Au fond, si les Européens se sont comportés en apparence comme des soumis à la volonté trumpienne, ils ont, par ailleurs, progressé dans l’autonomie stratégique, même si cette réalité peine à émerger dans les images portées par l’accélération des évènements, voulue par le président américain.
Le défi n’est évidemment pas qu’américain. Le russe est immédiat et belliqueux. Le chinois, comme l’a illustré début septembre le sommet de l’organisation de coopération de Shangaï à Tianjin, vise à définir un nouvel ordre du monde contre l’Occident. A cet égard, les Etats-Unis feraient mieux de cultiver avec l’Europe une alliance amicale qu’à chercher à détruire son unité.
Quoiqu’il en soit, pour faire face, non seulement au défi américain, mais également au russe et au chinois, les Européens n’ont d’autre choix que celui de la volonté, de renforcer leur unité, même si cela passe par divers chemins, et d’assumer la puissance qui déjà est la leur.
Cyrille Schott, ancien conseiller au cabinet du président François Mitterrand, préfet de région honoraire. Il a dirigé l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (2014-2016) et appartient au bureau d’EuroDéfense-France. Il est coauteur du livre « Souveraineté et solidarité, un défi européen » (le Cerf, 2021).
Une rentrée productive pour le couple franco-allemand
Les gouvernements allemand et français se sont réunis fin août à Toulon pour le 25e conseil des ministres franco-allemand, présidé par Emmanuel Macron et Friedrich Merz. Ukraine, sécurité, économie : « le couple franco-allemand est de retour », s’est félicité le chancelier.
C’est une rentrée sous le signe de la coopération franco-allemande. Quatre mois après l’entrée en fonction du gouvernement de Friedrich Merz en Allemagne, les gouvernements des deux pays se sont réunis le 29 août à Toulon pour un conseil des ministres franco-allemand. Une rencontre personnelle entre le président Emmanuel Macron et le chancelier Merz avait eu lieu la veille au Fort de Brégançon. Un conseil franco-allemand de défense et sécurité a également siégé. En phase dans de nombreux domaines, la France et l’Allemagne ont adopté un plan d’action économique commun. « Le couple franco-allemand est de retour », s’est félicité M. Merz.
Une « même vision claire des défis » à relever
« Nous partageons la même vision claire des défis intérieurs et extérieurs auxquels nos deux pays sont confrontés », a constaté le chancelier lors d’une conférence de presse. « Notre liberté, notre sécurité et notre prospérité doivent être garanties dans un monde dont l’ordre change rapidement et profondément. Ce qui nous unit, c’est la ferme volonté de relever ces défis ensemble. Nous partageons la conviction qu’un partenariat franco-allemand fort et une Europe forte et unie constituent notre meilleure réponse ».
Liberté, sécurité et prospérité à l’ordre du jour
Trois domaines ont dominé l’ordre du jour : le soutien à une paix véritable et durable en Ukraine, le renforcement de la sécurité et de la défense de l’Europe, ainsi que la consolidation de la compétitivité de l’économie européenne.
Friedrich Merz a évoqué le soutien des Européens au président ukrainien, Volodymyr Zelensky, notamment lors d’un déplacement à Washington au mois d’août. Il a salué « l’esprit d’équipe » dans le soutien à l’Ukraine.
« Ce travail diplomatique essentiel constitue un investissement important pour une Europe libre, sûre et prospère », a-t-il fait valoir. « Nous assumons ensemble ce rôle de leadership commun en Europe. Nous emmenons naturellement avec nous nos voisins européens, les grands comme les petits, les occidentaux comme les orientaux. »
Paris et Berlin sont aussi décidés à travailler main dans la main pour consolider les capacités de défense de l’Europe, dans un monde en profonde mutation. « Ce n’est pas un substitut à l’OTAN, mais cela renforce la dimension européenne de l’OTAN », a précisé M. Merz.
Économie : huit feuilles de route, 20 projets phares
Sur le volet économique, le retour du couple franco-allemand s’est traduit par l’adoption d’un plan d’action économique commun. Il comprend huit feuilles de route et plus de 20 projets phares dans un vaste éventail de domaines : énergie, technologies de pointe (IA, informatique quantique, etc.), souveraineté numérique, simplification administrative, espace ou encore convergence des politiques sociales. Son objectif : renforcer la compétitivité de l’économie européenne.
La France et l’Allemagne entendent, par exemple, mieux concilier l’impératif de la compétitivité avec une protection efficace du climat en misant sur l’ouverture technologique, notamment dans le domaine de l’automobile. Elles veulent augmenter la production industrielle européenne dans des secteurs technologiques clés afin d’accroître la résilience de l’économie du continent. Elles travaillent aussi à une feuille de route commune en vue de doper leurs investissements dans le domaine spatial et d’ouvrir à l’Europe un accès propre à l’espace.
Le plan d’action commun prévoit, en outre, le développement des infrastructures énergétiques transfrontalières, la promotion de la simplification administrative en Europe et l’ouverture d’un dialogue franco-allemand sur le commerce et la sécurité économique, concernant notamment l’accès aux matières premières.
Plusieurs rendez-vous ont été annoncés. Le 18 novembre prochain, Berlin accueillera un Sommet sur la souveraineté numérique, organisé conjointement. La France et l’Allemagne préparent également la mise en place d’un groupe d’experts sur l’avenir du travail et la tenue en 2026 la tenue d’un deuxième Sommet social franco-allemand. Le premier a eu lieu à Berlin le 1er juillet dernier.
Le président Macron et le chancelier Merz ont annoncé le suivi de ces mesures. Un bilan sera tiré à la fin de l’année.
A.L.
Gastronomie
Par Gérard Foussier
Il ne fait aucun doute que la pandémie de 2020 a eu des conséquences sur les habitudes quotidiennes des victimes de la crise du Covid : le confinement des consommateurs, les précautions prônées, voire imposées par les autorités, la peur d’une prolifération encore plus grave du virus, sans oublier ensuite l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat, tout cela a frappé de nombreux secteurs de la société. Tout spécialement les restaurants. Et aujourd’hui, cinq ans plus tard ?
« Vous avez réservé ? » En France comme en Allemagne, c’est désormais la première question posée par les restaurateurs à leurs clients quand ils franchissent la porte de leur établissement. Autre point commun : quand le service se fait attendre plus que de coutume, l’excuse du serveur tient en une seule expression : manque de personnel. Mais des différences demeurent de part et d’autre du Rhin, où l’importance accordée à la table est même d’une exagération proverbiale : les Français travailleraient pour manger, alors que les Allemands se contenteraient de manger pour pouvoir travailler. « La table est le pivot autour duquel tourne la civilisation », affirmait pour sa part le diplomate français Talleyrand (1754-1838).
Une étude récente de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) semble indiquer que les Français seraient les champions du monde du temps passé à table, que ce soit à domicile, à la cantine ou au restaurant. Ainsi restent-ils fidèles à la définition que donnait Curnonsky (1872-1956) de la gastronomie en France : « C’est vraiment une religion dans le grand et noble sens latin de ce mot religio, c’est-à-dire : un lien entre les hommes ».
En 1814, les soldats cosaques du tsar Alexandre Ier, qui avaient participé avec les Prussiens et les Autrichiens à la bataille de Paris, avaient l’habitude, dans les troquets parisiens, de crier bystro (« vite, vite » en russe) pour passer commande avant le couvre-feu. Belle légende contestée par les Auvergnats et les Poitevins de la capitale. « Pourquoi pas ? » (cur non, en latin) aurait pu dire le « Prince des gastronomes » en choisissant son pseudonyme, auquel il avait ajouté le suffixe -sky par plaisanterie, lorsque les officiers russes vinrent en France en 1894. Quoi qu’il en soit, cette anecdote reflète bien l’importance que les Français accordent à leur patrimoine gastronomique national. Pas question de voir l’origine du cassoulet toulousain, de l’aligot d’Auvergne, de la choucroute alsacienne ou du foie gras du Périgord concurrencée par qui que ce soit.
Dans les deux pays, la fréquentation est en baisse de plus de 10% par rapport aux années pré-Covid. Cela tient bien sûr à des considérations économiques avec la montée des prix et la baisse du pouvoir d’achat, mais aussi à des changements d’habitudes chez des consommateurs attirés par la restauration rapide. L’imagination de quelques restaurateurs pour tenter de lutter contre l’anglo-américanisme dominant (fastfoude par exemple à Tours, FresssCancan à Berlin) n’y a rien changé. Nombreux sont les consommateurs qui privilégient la livraison de repas à la maison plutôt que d’aller au restaurant.
Les différences entre la France et l’Allemagne restent notoires, voire proverbiales, sur ce sujet. Il est vrai que la France n’hésite pas à mettre les petits plats dans les grands pour promouvoir sa gastronomie dans le monde : l’UNESCO a même classé en 2010 le « repas gastronomique des Français » comme patrimoine culturel de l’humanité, une catégorie créée en 2003 pour protéger les savoir-faire traditionnels. Cette distinction récompense le respect des terroirs et le partage de « bons petits plats » entre parents, amis, collègues autour d’une table conviviale. Mais même sans raison festive, les Français sont fidèles aux repas quotidiens, 54% s’attablent chaque jour à 12 h 30 en respectant le rythme traditionnel entrée-plat principal-dessert, notent les statistiques. En 2019, classée Année de la gastronomie française, pas moins de six ministères, 5000 restaurants, 86 établissements scolaires ont été associés à l’opération Goût de France/Good France, lancée dans le monde entier en partenariat avec l’UNESCO et l’Organisation des Nations-Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), prolongée l’année suivante par un colloque international, le Paris Food Forum, pour susciter une réflexion sur les évolutions de la gastronomie.
De quoi faire saliver de jalousie les consommateurs allemands, qui regardent les statistiques avec effroi : en effet, 1475 restaurants, toutes catégories confondues, devraient faire faillite en 2025, soit une augmentation de 17% par rapport à 2022 ; les prix dans la restauration classique ont grimpé de 32,4% depuis 2020, ceux des fast-foods de près de 24%, ceux des cantines d’environ 20%. Un sondage indique même que sept Allemands sur dix déclarent avoir réduit les repas au restaurant.
La réputation de la cuisine allemande, souvent caricaturée par les jambonneaux et la choucroute avec pommes de terre et chou, le tout arrosé de bière, exaspère les gastronomes qui attendent plus de reconnaissance (et d’exigence) de la part de leurs consommateurs, allemands et étrangers. La difficulté réside essentiellement dans un fédéralisme, qui rime parfois avec chauvinisme régional : Berlin ne saurait accepter que sa saucisse au curry (Currywurst) vienne d’ailleurs, ou que les ravioles souabes (Schwäbische Maultaschen) perdent leur authenticité du Bade-Wurtemberg. La concurrence n’est pas seulement entre les régions d’Allemagne, elle vient aussi de l’extérieur : la France et la Belgique exportent leurs fromages, les escalopes de viande panée (Schnitzel) viennent d’Autriche, les boulettes (Knödel) de Bohême, le Döner Kebab de Turquie – pour ne citer que quelques exemples. L’influence étrangère est indéniable, un phénomène comparable à celui observé en France avec les pizzerias italiennes, les grills balkaniques (Balkan-Grill), les snacks syriens et les sushi japonais – sans oublier les plats surgelés qui contribuent à la standardisation mondialisée des plats.
Depuis 1969 (1983 pour l’édition allemande), un guide gastronomique, fondé par deux journalistes, Henri Gault et Christian Millau, est publié chaque année pour aider les consommateurs à mieux apprécier les nouvelles tendances de la haute-cuisine et à choisir les meilleures adresses (et à éviter les moins bonnes). Les commentaires critiques ont une influence sur la fréquentation des clients. Les notes et les toges attribuées par le Gault-et-Millau suscitent la crainte des restaurateurs, qui préfèrent les étoiles d’un autre best-seller, le Guide Michelin, créé par les frères Michelin en 1900 pour l’exposition universelle de Paris, le célèbre « guide rouge » existe également en Allemagne depuis 1964. Il énumère et récompense d’année en année la haute gastronomie et ses chefs les plus prestigieux et n’hésite pas à parler pour 2025 de « millésime exceptionnel » : la France compte désormais 654 restaurants étoilés, dont deux nouvelles distinctions 3-étoiles, à La Rochelle (Charente-Maritime) et dans la commune bretonne de Saint-Méloir-des-Ondes (Ille-et-Vilaine), soulignant ainsi la diversité régionale de la gastronomie française. La cuisine allemande n’est pas en reste : 341 restaurants allemands y sont mentionnés, dont deux nouvelles tables 3-étoiles à Hambourg et Berlin, soit un total de 12 établissements de cette catégorie.
Petit glossaire pour ceux qui ont faim (et soif)
Le vocabulaire français de la restauration n’est pas toujours facile à traduire en allemand. Restaurant vient de restaurer (remettre en état), mais depuis le 16e siècle il désigne un « aliment reconstituant », avant de donner son nom deux siècles plus tard au lieu de consommation – repris d’ailleurs tel quel en allemand. On peut également se restaurer dans un café, où les sandwichs ont la préférence des consommateurs (même quand ils ne boivent pas de café), ou dans une auberge, un établissement prévu initialement pour héberger les touristes qui veulent y passer la nuit – un terme emprunté au langage militaire à partir du mot hari, proche de l’allemand Heer (l’armée) et qui définit le logement sommaire des mercenaires germains de l’armée romaine. Le troquet et le bistrot français correspondent à la Kneipe allemande. On y vient pour boire un verre, mais on peut aussi se contenter d’un encas. Pour se sustenter, c’est peut-être l’espagnol Esta un minuto (Reste une minute) qui a donné son nom à l’estaminet que des linguistes verraient plutôt d’origine wallonne et qui ne désignerait que des débits de boissons, de la bière essentiellement (petit indice au passage : la Flandre a appartenu à l’Espagne au 16e siècle).
Ceci dit, la langue allemande préfère le Gasthof (littéralement la cour des hôtes, donc l’hôtel) pour désigner des auberges de tradition, là où les parkings ont remplacé les lointaines étables pour chevaux fatigués. A ne pas confondre avec Gaststätte ou Gasthaus (la maison des hôtes) qui propose à leurs clients à la fois menus, lits et parfois places de stationnement. Le bar, dans les deux langues, est un lieu de rencontres où l’on se distrait entre amis devant un verre. Au 18e siècle, les débits de boisson de la banlieue parisienne ont été accompagnés de bals musette dans les guinguettes – une expression remise à la mode un peu partout en France, son nom vient d’un vin blanc sec de petite qualité (très sec…) et bon marché, le guinguet, produit en Île-de-France. Une chanson populaire l’a immortalisé : « Ah, le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles du côté de Nogent ». Pour la bière, on parlera de brasserie, mais pas forcément pour évoquer un endroit où l’on brasse la bière, comme c’est le plus souvent le cas en Allemagne (Brauerei), d’où elle est originaire, introduite par les réfugiés d’Alsace-Lorraine en 1871, qui ont choisi d’émigrer à Paris.
Gérard Foussier,
Président du BILD de 2005 à 2024, rédacteur en chef de Dokumente-Documents de 2005 à 2017. Ancien directeur de la rédaction française de la « Deutsche Welle ». Auteur de nombreux ouvrages et articles sur les relations franco-allemandes et les différences interculturelles entre nos deux pays.
Imaginaires et réalités de la frontière franco-allemande : un laboratoire pour l’Europe de demain
Par Claire Demesmay
Une publication de l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales).
En Europe, la question des frontières est loin d’être secondaire. Selon le Parlement européen, les régions frontalières couvrent environ 40 % du territoire de l’Union européenne (UE), concentrent 30 % de sa population et produisent près d’un tiers de son produit intérieur brut.
Ces espaces, longtemps considérés comme des marges, sont aujourd’hui reconnus comme stratégiques, tant pour leur poids économique que pour les enjeux sociaux, culturels et politiques qu’ils soulèvent. Autrefois perçue comme une réalité strictement locale ou régionale, la vie à la frontière tend à devenir un véritable objet de politique européenne. Si les situations diffèrent d’une frontière à l’autre, elles mettent souvent en lumière de manière aiguë les défis structurels de l’intégration : reconnaissance des qualifications professionnelles, accès transfrontalier aux droits sociaux, ou encore gestion du plurilinguisme.
C’est dans cette perspective que l’article aborde la question frontalière, en s’intéressant autant aux réalités concrètes qu’aux imaginaires qui les traversent. Il revient d’abord sur l’effacement progressif de la matérialité des frontières intérieures, autrefois lignes de séparation entre États et symboles de souveraineté, progressivement reconfigurées comme espaces de coopération au sein du projet européen. Porté par l’idéal d’unité, ce processus a fait de la frontière non plus un obstacle, mais un lieu d’échange et de circulation – du moins dans le discours pro-européen. Ce symbole de l’intégration est toutefois fragilisé par des dynamiques de repli. Si certaines frontières s’estompent, d’autres se renforcent : les frontières extérieures prennent une importance croissante, tandis que les frontières intérieures demeurent des repères dans la gestion des politiques publiques et la structuration des démocraties nationales.
Claire Demesmay est experte en matière de coopération franco-allemande, directrice de l’Institut français de Bonn ; elle a été titulaire de la chaire Alfred Grosser de Sciences Po Paris en 2024-2025 et est chercheuse associée au Centre Marc Bloch de Berlin.
Cette publication est en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer (KAS). (la version allemande sera publiée prochainement)
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Allemagne d’aujourd’hui
Le dernier n° de la revue est consacré au « Renouveau des musées en Allemagne ».
« Les musées allemands à la croisée des chemins : entre mémoire, innovation et défis sociétaux »
Le dossier principal a été dirigé par Jean-Louis Georget et Markus Walz, publié avec le concours de l’Université Sorbonne Nouvelle et du Centre d’études et de recherches sur l’Espace Germanophone ainsi que l’Université des sciences appliquées de Leipzig (HTWK).
« Un tableau complexe et dynamique : celui d’institutions tiraillées entre innovation et modernité, devoir de mémoire et ouverture sociale, contraintes budgétaires et ambitions scientifiques. Ces tensions, loin d’affaiblir le secteur, en font un laboratoire des transformations que traversent les musées européens au 21ème siècle ».
(Extrait de l’introduction de Jean-Louis Georget).
Les manifestations franco-allemandes
A la Maison Heinrich Heine,
Cité internationale, Bd Jourdan, Paris 14ème
Mardi 7 octobre de 19h30 à 21h00
Débat : Les émotions dans les relations internationales à l’exemple de l’année 1989.
A l’occasion de la parution de son dernier livre, avec Hélène Miard-Delacroix, germaniste et historienne, Professeure des universités, Sorbonne université, et Michaela Wiegel, correspondante de la FAZ à Paris.
La certitude d’assister aujourd’hui à un moment de bascule dans les équilibres du monde dessine la fin d’une ère qui a commencé en 1989-90, dans l’inquiétude, l’indignation mais aussi dans une joie intense. Plus encore que les changements réels qu’elle a entraînés, c’est le souvenir d’émotions puissantes qui fait la postérité de 1989, rare césure positive de l’histoire contemporaine. Cette soirée se propose de réfléchir, en considérant ensemble la France et l’Allemagne dans une perspective d’histoire croisée, à la façon dont les émotions sont, pour les contemporains, un moyen d’appréhender les grands ébranlements.
30ème Festival du Cinéma allemand à Paris
Du 8 au 12 octobre au cinéma l’Arlequin, rue de Rennes à Paris.
Découvrir les dernières productions allemandes avec une sélection de films inédits.
Film d’ouverture : « Sound of falling », de Mascha Schilinski.
Rappel : La relation France-Allemagne : Tous acteurs
Le congrès annuel de la FAFA-VDFG aura lieu à Nantes du 17 au 19 octobre.
Il est placé sous le Haut Patronage de l’Ambassadeur de la République Fédérale d’Allemagne en France
Ce congrès franco-allemand s’appuie sur différentes personnalités du monde économique, politique, diplomatique, institutionnel, éducatif, académique, société civile… qui interviennent dans l’Espace Forum, les tables rondes, les ateliers et la conférence plénière finale.
Les tables rondes (sur des thématiques politique, économique, éducative et sociétale) et la conférence plénière sont modérées par des experts du franco-allemand.
Les ateliers concernent les préoccupations des jumelages et apportent des éléments pour avancer dans les différentes problématiques. Et aussi des espaces de networking pour se rencontrer, échanger, construire….
Vous trouverez le programme et la billetterie sur le site dédié : https://69e-congres-nantes.congres-fafa-vdfg.eu/.
Si vous êtes adhérents de la FAFA, vous bénéficiez d’un tarif d’inscription préférentiel.
La vie de l’AFDMA
Prix de l’AFDMA
En fin d’année scolaire, il a été remis au Prythanée National Militaire de La Flèche à Florian Wilhelm, élève de terminale 2.
Pour mémoire, le Prix de l’AFDMA récompense des élèves particulièrement méritants dans l’apprentissage de l’allemand et engagés dans les relations entre nos deux pays.
[1] « L’Europe saura-telle face ? »[1] La Tribune, 18 décembre 2024.