L’UE doit se donner une seconde assurance-vie dans l’OTAN.

Le général Jean-Paul Perruche et l’ancien préfet Cyrille Scott estiment que l’Union européenne doit organiser une capacité conventionnelle à partir des armées nationales, développer son industrie de défense et réfléchir à un bouclier nucléaire.

La saillie de Donald Trump, qui, en Caroline du Sud le 10 février, a accusé les pays membres de l’OTAN d’être de « mauvais payeurs », interpelle l’Europe. En Allemagne, le débat a questionné l’« assurance-vie » que l’organisation représente pour l’Europe, selon les termes de la ministre des affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, au sommet du triangle de Weimar, le 12 février, à La Celle Saint-Cloud (Yvelines). Son homologue français, Stéphane Séjourné, a répondu : « Il nous faut une deuxième assurance-vie, pas en substitution, pas contre lOTAN, mais en addition. »

L’Europe doit se donner cette seconde assurance-vie, dans l’OTAN. Elle le peut. Tandis qu’en 2024 la Russie va porter ses dépenses militaires jusqu’à l’équivalent de 106 milliards d’euros, les pays européens de l’Alliance, selon le secrétaire général de l’OTAN, vont y consacrer plus de 350 milliards d’euros. Les budgets de l’Allemagne et de la France additionnés représenteront près de 133 milliards d’euros. Ces chiffres donnent une image relative du rapport de force, car l’Europe n’a pas une armée, mais compte autant d’armées que de nations ; ces données montrent néanmoins que le chemin est ouvert.

Il l’est dans l’OTAN, dont le nouveau concept stratégique, adopté à Madrid en 2022, dit qu’elle « reconnaît l’intérêt d’une défense européenne plus forte et plus performante, qui contribue réellement à la sécurité transatlantique et mondiale, complète l’action de l’OTAN et soit interopérable avec celle-ci ». L’objectif de l’assurance-vie ne peut toutefois se confondre avec celui de l’atteinte par les budgets militaires du seuil de 2 % du PIB, ce qui sera fait par vingt pays de l’OTAN en 2024.

Déployer 5000 soldats

Si des diplomates de l’Alliance pensent que cette augmentation pourrait aider à gagner la confiance de Trump, s’il devait être élu, ce raisonnement de vassal se voilant le regard devant le risque exclut d’envisager que l’Europe puisse se défendre seule.

Pour cet objectif, l’Union européenne (UE) doit organiser d’urgence, à partir des armées nationales, une capacité conventionnelle à même de répondre à une agression. Elle doit ensuite développer puissamment sa base industrielle et technologique de défense. Enfin, elle peut envisager le sujet du bouclier nucléaire.

Depuis le Brexit, l’UE a inscrit la défense dans son budget et a créé, au sein de son état-major, la capacité militaire de planification et de conduite, pouvant préfigurer un état-major opérationnel. Dans sa boussole stratégique, adoptée en 2022, elle prévoit de consolider cette capacité militaire et de pouvoir déployer rapidement 5 000 soldats. Une première manœuvre s’est déroulée, en octobre 2023, dans le sud de l’Espagne. Il faut créer désormais un véritable état-major opérationnel, apte à planifier des scénarios de crise et à coordonner de significatifs déploiements de troupes en mesure d’affronter une vraie guerre, cela en confiance avec l’OTAN.

L’Eurocorps, installé à Strasbourg, peut commander, pour l’Union européenne ou pour l’OTAN, jusqu’à 60 000 hommes. La France a aussi lancé, en 2018, l’initiative européenne d’intervention, qui regroupe treize pays, dont le Royaume-Uni, pour développer une culture stratégique et une capacité d’engagement militaire communes. Par ailleurs, les coopérations entre pays voisins sont à mettre en cohérence. Aujourd’hui, le soutien efficace de l’Ukraine, au besoin par eux seuls, forme un test pour les Européens.

Afin de renforcer sa base industrielle et technologique de défense, l’UE a créé divers instruments, comme, en 2017, le Fonds européen de défense, la Facilité européenne pour la paix, la coopération structurée permanente et, en 2022, l’instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes et la stratégie en matière de cyberdéfense. Elle a décidé, en 2023, la production commune de munitions pour aider l’Ukraine. Elle dispose de l’Agence européenne de défense et peut s’appuyer sur l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement.

La Commission va bientôt dévoiler sa stratégie industrielle de défense européenne. Pour aller plus loin, le commissaire Thierry Breton a proposé un fonds de 100 milliards d’euros afin de stimuler cette industrie, et l’Estonie a préconisé de lever de la dette européenne pour l’aide à l’Ukraine et le réarmement. L’idée de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, de créer un poste de commissaire européen chargé de la défense va dans la même direction.

Capacité de se coordonner

La question délicate du nucléaire est également soulevée. En janvier, Emmanuel Macron, en rappel de son discours du 7 février 2020 à l’Ecole militaire, à Paris, a souligné, en Suède, que la France était un « Etat doté d’armes nucléaires dont les intérêts vitaux ont une dimension européenne », et a réitéré sa proposition d’un dialogue stratégique avec ses partenaires sur le rôle de la dissuasion nucléaire française, la seule de l’Union européenne. Cette proposition, négligée en 2020, a nourri des échanges vifs en Allemagne, conduisant le ministre de la défense, Boris Pistorius, à déclarer, le 14 février, que le débat nucléaire était « une escalade dans la discussion, dont nous n’avons pas besoin ».

L’hebdomadaire allemand Die Zeit a consacré le lendemain une pleine page à la question « L’Europe a-t-elle besoin de la bombe ? », d’où il ressort qu’il faut étudier la proposition française, avec, sans mettre en cause la décision souveraine de Paris du recours au nucléaire, des pistes comme la participation à des exercices nucléaires français ou une réflexion sur un stationnement temporaire en Allemagne d’avions Rafale porteurs de bombes atomiques.

Les Européens ont la capacité de se coordonner et de bâtir, dans l’OTAN, l’organisation donnant un caractère opérationnel à l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne : « Au cas où un Etat membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres Etats membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir (…). » L’Europe peut devenir souveraine, en tant que partenaire efficace de l’OTAN, si elle le veut. Elle le doit, au regard des menaces qui pèsent sur elle.

Jean-Paul Perruche est général de corps d’armée (2S), ancien directeur général de l’état-major de l’Union européenne et ancien président d’EuroDéfense France; Cyrille Schott est préfet honoraire de région, ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, membre du bureau d’EuroDéfense France.

Article paru dans « Le Monde » du 26 février 2024.