Une Ostpolitik renouvelée ? Visions depuis l’Allemagne et la France

Par Cyrille Schott, membre du bureau d’EuroDéfense France, ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), délégué de l’AFDMA pour l’Alsace.

Faut-il à nouveau une Ostpolitik (une politique orientale) ? En Allemagne, certains plaident en ce sens, ainsi un ancien dirigeant politique issu de la SPD, Matthias Platzeck, dans un livre paru en 2020. Nombreux sont cependant ceux critiquant l’appel du Président français à un dialogue stratégique avec la Russie. Le débat est ouvert. L’université de Bonn et l’Institut français ont organisé en novembre 2020 une table ronde sur ce sujet : « Avons-nous besoin d’une Ostpolitik 2.0 ? Visions depuis l’Allemagne et la France ». Il est intéressant d’envisager ces deux visions.

Un survol historique : l’Ostpolitik congénitale à l’histoire allemande

Le concept d’Ostpolitik est allemand. Du fait de la géographie, les Allemands ont été, tout au long de l’histoire, au contact du monde slave. Ils ont partagé avec les Russes, plus d’un siècle durant, une même frontière. Après le dernier partage de la Pologne en 1795, la Prusse, relayée par l’Empire allemand en 1871, et les possessions des Habsbourg, devenues Empire d’Autriche en 1804, devinrent voisins de la Russie. Cela jusqu’en 1918. Après la Seconde Guerre mondiale, les Russes furent en Allemagne même, comme occupants, puis tuteurs de la République démocratique allemande.
On peut soutenir que les Allemands ont constamment pratiqué, sans qu’elle ne fût formalisée, une Ostpolitik de fait. Dès le Moyen-Âge, ils se heurtèrent aux Russes, ainsi à la bataille du lac Peïpous en 1242, où Alexandre Newski défit les Chevaliers teutoniques. Le Drang nach Osten (la marche vers l’est) qui débuta dès le XIe siècle, permit cependant aux Allemands d’étendre, au détriment des Slaves, leur espace de domination et de peuplement vers l’Europe centrale et orientale. Si, en 1410, à la bataille de Tannenberg, la défaite des Chevaliers teutoniques face à la Pologne fixa un coup d’arrêt, les conséquences de la Réforme provoquèrent le rebond. La sécularisation en 1525 du domaine des chevaliers teutoniques, qui devint duché de Pusse, puis sa réunion en 1618 avec le Brandebourg engendrèrent la puissance prussienne. Au XVIIIe siècle, malgré leurs différends, Autriche et Prusse, les deux puissances germaniques, s’entendirent avec la Russie pour dépecer la Pologne et poursuivre le Drang nach Osten.
Sous l’empire des Romanov, les relations furent également intenses dans le gouvernement et la société. Une Allemande d’origine, Catherine II parvint à s’affirmer, avec Pierre le Grand, comme l’un des deux plus grands tsars de l’histoire (de 1762 à 1796). Les six tsars suivants, à l’exception d’Alexandre III, épousèrent tous des princesses allemandes. Dans l’armée, la diplomatie, la science, le gouvernement de l’Empire, les Allemands furent fréquents.

Les catastrophes de la géopolitique et le renoncement à celle-ci par l’Allemagne

Dans l’époque contemporaine, l’Allemagne pratiqua une géopolitique qui se solda par la catastrophe. Bismarck, adepte de la Realpolitik, oeuvra à un système où l’Allemagne n’aurait pas à combattre sur deux fronts, ce qui exigeait l’entente des trois empires, allemand, austro-hongrois et russe, par-delà la rivalité des deux derniers dans les Balkans. Guillaume II, dans son ambition d’une Weltpolitik (une politique mondiale) renonça à l’alliance russe et, du fait de celle avec l’Autriche-Hongrie, entra dans la Première Guerre mondiale et la confrontation avec la Russie. Suivant la doctrine du Lebensraum (l’espace vital), l’Allemagne nazie reprit le Drang nach Osten. Le résultat en fut le désastre de 1945, où les Russes jouèrent un rôle décisif. L’Allemagne fut réduite au plus petit territoire de son histoire, de surcroît divisé, et la poussée vers l’est s’inversa avec l’exode de 12 à 14 millions d’Allemands vers l’ouest.
Après la dernière guerre, les Allemands n’ont plus beaucoup cultivé la pensée géopolitique. La partie orientale absorbée dans l’empire soviétique, les grandes questions dans la République fédérale concernèrent la vie même de la nation : la protection contre la menace soviétique, assurée par les États-Unis avec l’Otan, grâce à la politique d’Adenauer d’intégration résolue à l’Ouest ; le sujet de la réunification, à garder ouvert, même faute de visibilité d’un horizon ; la vie concrète des Allemands dans le pays partagé, avec le chemin vers la prospérité à l’Ouest et les initiatives pour rendre moins dures les conditions d’existence à l’Est. Adenauer se rendit à Moscou en 1955, surtout pour obtenir le retour des derniers prisonniers de guerre. Willy Brandt, chancelier de 1969 à 1974, initia, avec son proche conseiller Egon Bahr, une Ostpolitik, qui visait un changement par le rapprochement (Wandel durch Annäherung) (2), afin d’amener la RDA à s’ouvrir et de faciliter la vie des habitants de l’Allemagne divisée.
Déjà, cette Ostpolitik intégrait la voie des échanges commerciaux, par un accord conclu en février 1970 pour la livraison par une entreprise allemande des tuyaux du pipeline russe traversant la Tchécoslovaquie et l’Autriche afin de fournir du gaz à l’Allemagne. Déjà aussi, les États-Unis de Reagan réagirent par des sanctions.

La prégnance de la géopolitique en France

La France, géographiquement éloignée, n’eut pas de rapports aussi intimes avec la Russie, malgré son rayonnement culturel et linguistique, illustré au XVIIIe siècle par la relation entre Catherine la Grande et Diderot. Le tsar combattit, avec l’Autriche et la Prusse, la Révolution française et fut un acteur majeur de l’effondrement de l’empire napoléonien. Au temps de « l’ennemi héréditaire », la IIIe République, dans une perspective géostratégique, vit la Russie, située à l’est de l’Allemagne, comme une alliée potentielle. Malgré la différence de leurs régimes politiques, Français et Russes surent conclure l’alliance en 1892. La Révolution bolchevique aggrava le fossé entre les systèmes. Pourtant, dès décembre 1944, à l’occasion de sa visite à Moscou, le général de Gaulle conclut un traité d’alliance. La vision géopolitique, face à l’Allemagne, mais aussi face à l’hégémonie américaine, inspirait la démarche française.
Après son retour au pouvoir en 1958, de Gaulle conduisit une politique étrangère imprégnée de géopolitique. Dans les crises de Berlin et de Cuba, en 1961 et 1962, il se montra un allié fiable, mais son chemin restait autonome : il annonça en février 1966 le retrait de la France de l’Otan, puis se rendit en juin 1966 à Moscou ; il parlait de Russie soviétique au lieu d’URSS et évoquait « une Europe de l’Atlantique à l’Oural » ; il encourageait la détente sans user du terme Ostpolitik. Si la séparation Est-Ouest était claire dans son esprit, de même que la priorité de la réconciliation avec l’Allemagne et, malgré un discours d’inspiration nationale, l’importance de la communauté européenne, il était convaincu que la Russie, quel que fût son système politique, faisait partie de l’Europe et que l’Europe devait inclure la Russie dans sa pensée.

 

Deux visions. France : la nécessité du dialogue stratégique avec la Russie pour la paix et la sécurité

Ce survol historique nous introduit à des différences actuelles entre France et Allemagne. La géopolitique s’inscrit dans la vision du président Macron. La Russie appartient à l’Europe, même si l’essentiel de son territoire se situe en Asie. Malgré son recul démographique et économique, elle maintient l’ambition d’une puissance globale, justifiée par l’immensité de son espace et de ses ressources naturelles, son passé, sa culture, l’importance de sa diplomatie et de son armée en pleine résurgence. Une option européenne doit être opposée à son rapprochement avec la Chine, qui représente le principal défi. Emmanuel Macron a déclaré à la conférence des ambassadeurs en août 2019 : « Je pense que la vocation de la Russie n’est pas d’être l’alliée minoritaire de la Chine et donc nous devons aussi savoir… offrir à un moment donné une option stratégique à ce pays qui va immanquablement se la poser… » ( Discours à la conférence des ambassadeurs et ambassadrices, 27 août 2019.)

La Charte de Paris annonçait en novembre 1990 la fin de la guerre froide, avec la victoire de la démocratie libérale, qui devait imprégner le nouvel ordre en Europe. Le nationalisme et la guerre se sont cependant réveillés. La Russie n’a pas digéré la perte d’une grande partie de l’Empire soviétique et ressent le rapprochement de l’Otan et de l’Union européenne (UE) de ses frontières comme une menace. Elle estime que la promesse d’un non-élargissement de l’Otan vers l’est  a été reniée et que la Russie d’Eltsine a été traitée comme un pays négligeable. Un diplomate algérien a récemment décrit de façon quelque peu polémique l’attitude des Occidentaux : « Le président Eltsine était un clown que les Occidentaux faisaient danser à leur guise… [ils] ont continué à prendre la Russie de haut, nourrissant un sentiment d’humiliation ». Plutôt que dans l’idéologie, même si la nature de l’État et de la société divise, le conflit trouve sa source dans une volonté nationale russe de restauration de la grandeur et d’un refus de la pénétration occidentale dans l’espace proche.
Pour atteindre l’ordre de paix européen visé par la Charte de Paris, la prise en considération de façon réaliste des changements intervenus depuis sa signature s’impose. À l’issue de son entretien avec son homologue russe à Brégançon le 19 août 2019, le Président français a appelé, dans le cadre du « nouvel ordre international », « une nouvelle architecture de confiance et de sécurité ». Une semaine plus tard, il a précisé devant les ambassadeurs : « Je crois qu’il nous faut construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, parce que le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie. » Ce « dialogue stratégique » ne doit toutefois pas s’établir dans la faiblesse. Toujours devant les ambassadeurs, Macron a stigmatisé la faiblesse des Occidentaux face à la Russie : « Regardez ce grand pays, il a retrouvé des marges de manoeuvre par nos faiblesses », et a souligné : « Nous devons être intraitables lorsque notre souveraineté ou celle de nos partenaires est menacée. » Le dialogue doit être conduit par l’Europe, mais celle-ci doit être forte, selon les termes de son discours de 2017 à la Sorbonne , où il a défini une « Europe souveraine, unie, démocratique », qui serait un partenaire crédible au sein de l’Alliance atlantique et mènerait une politique étrangère active. L’UE devrait ainsi participer aux pourparlers sur le désarmement.

Allemagne : entre proximité et défiance

L’Allemagne garde un rapport de proximité avec la Russie. Elle est son deuxième partenaire commercial : 40 % de sa consommation de gaz et de pétrole est d’origine russe. Le projet de gazoduc Nord Stream 2, certes contesté, est le signe de ces liens économiques étroits ; le prédécesseur d’Angela Merkel, Gerhard Schröder, préside le conseil d’administration de la filiale du groupe russe Gazprom, la société Nord Stream 2, chargée de réaliser ce gazoduc.
Les contacts entre dirigeants sont réguliers. Un journal allemand  a compté que Vladimir Poutine et Angela Merkel en étaient, en août 2018, à leur 16e rencontre en cinq ans et qu’ils s’étaient aussi parlé 54 fois par téléphone depuis 2013. En janvier 2020, la Chancelière rencontrait à nouveau le Président russe à Moscou. En raison de leur passé personnel, ils peuvent se dispenser d’interprète. Des instances ont été créées pour entretenir la liaison, comme le groupe de travail stratégique bilatéral pour l’économie et les finances, le groupe de travail germano-russe sur la politique de sécurité, qui a tenu en novembre 2019 sa 14e session plénière, ou le forum de discussion du « dialogue de Pétersbourg » , réunissant 250 à 300 experts. L’allemand est, après l’anglais, la seconde langue étrangère la plus étudiée en Russie.
Sur un plan différent, les Allemands voient la Russie comme la puissance qui, des décennies durant, a soumis l’Est du pays et qui n’hésite pas à violer les droits de l’homme. Les tentatives d’empoisonnement de Skripal en 2018 puis de Navalny en 2020 ont provoqué de vives réactions.
L’Allemagne est attentive aux peurs des pays baltes et de la Pologne, dont le ressenti de la fin de la dernière guerre n’est pas celui de l’Ouest. La présidente de la Lettonie de 1999 à 2007, Vaira Vïke-Freiberga, évoque ainsi « la signification double » de cette fin : « La défaite du nazisme a certainement arrêté le génocide raciste et l’impérialisme de l’Allemagne, mais elle a aussi ouvert une période douloureuse d’occupation ou de domination étrangère pour les pays de l’Europe centrale et orientale. » Les républiques baltes ont été incorporées dans l’Union soviétique et n’ont recouvré leur indépendance qu’en 1991. La Pologne, certes formellement indépendante, a subi sa domination. Au contact direct de la Russie, avec une minorité russe significative, les Baltes craignent pour leur fraîche indépendance. Les Polonais sont de même méfiants. L’entrée dans l’Union européenne signifiait pour ces pays l’accès à un espace de prospérité et de liberté, ainsi que la reconstitution de l’unité européenne. Ils ne voyaient cependant de garantie pour leur sécurité que dans l’adhésion à l’Otan et la protection des États-Unis. Ce sentiment n’a pas changé. Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, l’a exprimé, en répliquant à l’évocation par le président Macron de « la mort cérébrale de l’Otan » que celle-ci était « l’assurance-vie de l’Europe ». Les anciens pays du pacte de Varsovie voient aussi cette adhésion comme un droit souverain inscrit dans l’Acte final d’Helsinki. Polonais et Baltes sollicitent de l’UE un appui face à la Russie, voire des sanctions, mais sont défavorables à la définition d’une stratégie de dialogue avec elle.
Norbert Röttgen, le président CDU de la Commission des affaires étrangères du Bundestag, après avoir jugé, dans l’affaire Navalny, que « la France a réagi trop timidement », a affirmé que « Macron a eu tort de proposer un “dialogue stratégique” avec la Russie ». Cette perception de la position française, en Allemagne et ailleurs en Europe, est celle de la « Grande Nation », dispensatrice d’idées brillantes, mais peu reçues, tout en n’échappant pas à la naïveté, par la méconnaissance de la réalité du pouvoir de Poutine, de même que de la justesse des craintes des voisins de la Russie. Quant au ressenti français, il est celui d’une Allemagne qui, dans un mélange de pragmatisme attentiste, soucieux des intérêts nationaux, et de moralisme apparent, refuse l’approche géopolitique, pourtant nécessaire à la paix en Europe.

Une approche diplomatique cependant commune

Au regard d’au moins trois séries d’éléments, on ne peut toutefois s’en tenir à ce résumé. Premièrement, il s’éloigne de la réalité des relations internationales, où les événements et les crises ont le mot. Dans ces crises, la France et l’Allemagne ont su atteindre la même position et se sont efforcés d’y amener les autres membres de l’UE : après l’annexion de la Crimée, après les affaires d’empoisonnement quoiqu’il ait pu être dit, dans la crise biélorusse. Malgré son engagement sur plusieurs fronts, la France, comme l’Allemagne, a envoyé des soldats dans les États baltes dans le cadre de la « présence avancée renforcée » de l’Otan. Français et Allemands s’accordent pour la lutte contre les cyberattaques ou les manipulations de l’information. Ils partagent la détermination en matière de droits de l’homme et d’inviolabilité des frontières.

Loin de la naïveté, la position française, telle que présentée dans l’Actualisation stratégique de 2021, décrit la Russie comme « une puissance opportuniste et agile », avec laquelle il convient de « réamorcer un dialogue lucide ».
Deuxièmement, une collaboration sélective, tant française qu’allemande, avec la Russie a lieu dans maints domaines, tels l’économie, la science, l’espace ou la culture. Les rencontres se font aussi sur des sujets comme la protection de l’environnement, l’accord nucléaire avec l’Iran ou la lutte contre le terrorisme. Et le dialogue avec la Russie sur le conflit ukrainien reste, quoi qu’il en soit, nécessaire. De même sur le Caucase, la Biélorussie, la Syrie ou la Libye. À la fin du mois de mars, Macron, Merkel et Poutine se sont réunis en visioconférence pour évoquer une possible coopération en matière de vaccination, une pression existant dans plusieurs Länder allemands pour l’acquisition du vaccin russe Spoutnik V. Ils ont également abordé les sujets brûlants de l’heure.
Troisièmement, une évolution se fait jour en Allemagne. Des voix s’élèvent pour soutenir que face aux défis, il ne faut pas seulement réagir, mais développer une vision stratégique. Dans l’entretien cité plus haut, Norbert Röttgen déclare, par exemple : « L’Allemagne doit être moins dans la réaction, mais davantage dans l’anticipation par rapport aux grands défis. » Lorsque, en juin 2019, la question de la réintégration de la Russie au sein du Conseil de l’Europe s’est posée, l’Allemagne et la France ont oeuvré ensemble en faveur de celle-ci. Le 18 novembre 2020, les ministres des Affaires étrangères, Le Drian et Maas, ont signé un article commun dans Le Monde, dans lequel, voyant dans la Chine le plus grand défi, ils ont plaidé en faveur d’une Europe plus forte, dans le cadre d’un partenariat rééquilibré avec les États-Unis. Ils ont ajouté : « Et sur toutes les questions touchant à la sécurité européenne, nous sommes prêts à échanger avec Moscou et nous attendons de la Russie qu’elle apporte des réponses constructives ». Il est vrai qu’après sa rencontre avec Poutine à Moscou en janvier 2020, Merkel avait déclaré : « Mieux vaut se parler que de parler l’un de l’autre. »

N’oublions pas que le couple franco-allemand a constamment été remarquable par son aptitude à dépasser ses différences afin de faire progresser l’Europe. Le rapport à la Russie interroge à nouveau cette capacité. En effet, il faut se demander si, d’une part, l’Europe saura surmonter ses divisions pour établir un dialogue lucide avec la Russie et si, d’autre part, celle-ci la considérera comme un partenaire capable de l’engager. Les suites de l’affaire Navalny et le traitement désinvolte réservé à Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne, en février dernier à Moscou conduisent à se poser la question. Le risque, avec la configuration nouvelle née des élections américaines, est qu’à un moment donné, un dialogue stratégique se noue entre Russie et États-Unis par-dessus la tête des Européens désunis ou avec une Europe réduite au rôle de suiveur.

En conclusion, observons qu’au temps de la guerre froide, avec des différences plus criantes qu’aujourd’hui et un régime totalitaire en Union soviétique, le dialogue permit d’aboutir à la Déclaration finale d’Helsinki de 1975, déjà citée, qui contribua à apaiser les tensions, mais eut un autre résultat, alors inattendu. Les commentateurs y voyaient un succès du bloc de l’Est en valorisant les deux premières « corbeilles », consacrées au statu quo en Europe et à la coopération économique, et jugeaient insignifiante la troisième « corbeille » relative aux droits de l’homme et aux échanges humains. C’est pourtant cette « corbeille » qui eut le plus d’effet dans l’espace soviétique et contribua à sa fin. Le dialogue stratégique avec la Russie peut également aider à y entretenir un « désir d’Europe » dans une partie de la jeunesse et certains médias, « désir » susceptible de provoquer d’autres évolutions inattendues.