Lettre d’information n° 35. Juillet 2018.

LA LETTRE D’INFORMATION

sur les relations franco-allemandes et l’Allemagne

 

N° 35. juillet 2018

Responsable de la rédaction : Bernard Viale,  Délégué à  la « Communication »

 

Le mot du Président

Chers membres de l’AFDMA, chers amis,

L’Europe en général et les relations franco-allemandes en particulier ont connu, les temps derniers, des épisodes mouvementés. La construction européenne est abordée dans le contexte d’une profonde crise liée aux flux migratoires qui se déversent inexorablement sur les rives de l’Europe. On ne peut d’ailleurs s’empêcher de faire référence au roman de Jean Raspail, « le camp des saints », paru en 1973.

Sans vouloir nier les difficultés, force est de constater que les partis politiques, quelques  soient les pays, attisent cette crise pour leurs objectifs électoraux. Il suffit d’observer les résultats des  urnes en Italie, en Pologne, en Hongrie, en République Tchèque ou en Slovaquie. Les difficultés intérieures d’Angela Merkel ne sont d’ailleurs pas étrangères au  calendrier électoral en Bavière.

Fort heureusement, les résultats du dernier Conseil européen de Bruxelles des 28 et 29 juin, consacré à la crise migratoire, apportent des éléments de réponse et des propositions pour mieux gérer ces flux qui sont devenus, pour tous,  sources de difficultés.

Dans ce contexte difficile, la relation franco-allemande a une nouvelle fois illustré la volonté des deux pays d’aller de l’avant.  La Chancelière a pu apporter des réponses positives aux propositions du Président français en matière d’Europe. Elles  devraient permettre des avancées entre autres dans le domaine budgétaire et dans celui de la défense. De fait,  les récentes déclarations du Président Trump en matière de défense et de relations commerciales devraient contribuer à faire comprendre aux européens que la défense de notre continent ne doit pas s’appuyer aveuglément  sur le lien transatlantique. L’Union européenne doit impérativement prendre son avenir en main.

Sans aucun doute, il reste beaucoup à faire dans une Europe à 27 de plus en plus difficilement gérable mais à l’instar des Pères de l’Europe, nous devons conserver foi en l’avenir. Je vous souhaite un bel été.

Bien cordialement,

Bertrand Louis Pflimlin Président

 

Sommaire :

–         Le mot du Président

–         P.2 : Publications : Europe : le tandem franco-allemand à l’épreuve de la crise migratoire.

–         P.6 : Europe de la défense : dépasser la politique des petits pas.

–        P.9 : Le sommaire d’Allemagne d’aujourd’hui.

–         P.10 : Les manifestations franco-allemandes

–         P.11 : La vie de l’AFDMA.

 

 

Publications

 

Europe : le tandem franco-allemand à l’épreuve de la crise migratoire.

par Jérôme Vaillant

Dans de nombreux discours – discours de la Sorbonne, de Berlin à l’université Humboldt, plus récemment, le 10 mai 2018, lors de la remise qui lui a été faite à Aix-la-Chapelle du prix Charlemagne –, Emmanuel Macron a exposé, précisé, adapté son projet pour relancer l’Europe.

Le comité qui attribue chaque année le prix à une personnalité particulièrement méritante en matière européenne a justifié son choix par la vision qu’ E. Macron développe d’une refondation de l’Europe sur la base d’une « souveraineté européenne » et souhaité honorer tout particulièrement l’enthousiasme avec lequel celui-ci s’engage en faveur de l’Europe, contre toute forme de nationalisme et d’isolationnisme pour promouvoir une nouvelle forme de coopération entre les peuples et les nations. Le comité a exprimé le souhait que ses propositions inspirent ses partenaires européens et contribuent à renouveler le projet européen.

Les médias en France ont surtout retenu du discours du président français qu’il avait « égratigné » la chancelière quand il avait reproché à l’Allemagne son « fétichisme des excédents budgétaires et commerciaux ». Chargée de faire l’éloge du récipiendaire, A. Merkel a pu paraître agacée par ce reproche fait en public, mais elle a également annoncé les principaux éléments de réponse qu’elle s’apprêtait à fournir aux propositions françaises.

Trouver « des chemins communs »
Dans le contexte du centenaire de la Première Guerre mondiale, Angela Merkel rappelait dans un premier temps l’importance de l’Europe comme remède à la guerre et comme moteur de la paix, mais aussi de la démocratie et de l’état de droit. Elle a ensuite évoqué la méthodologie de la coopération franco-allemande, mettant la volonté d’arriver à des propositions communes au-dessus de la culture des différences entre les deux pays :

« Nous avons des cultures politiques différentes, nous abordons les thèmes européens souvent à partir d’orientations différentes, mais nous parlons et écoutons l’autre et finalement nous trouvons des chemins communs. »

Dans son discours d’Aix-la-Chapelle, la chancelière a nommé quatre domaines prioritaires de la coopération franco-allemande pour servir l’Europe :

·         l’innovation pour renforcer l’économie à l’ère de la globalisation et de la numérisation ;

·         la politique migratoire passant par une réforme européenne du droit d’asile et une politique africaine commune ;

·         l’union bancaire et l’union des marchés financiers pour consolider la zone euro ;

·         la politique étrangère, de sécurité et de défense dans une période où il n’était plus possible de compter comme avant sur les États-Unis.

Un budget d’investissement pour l’Union, sous le contrôle du Bundestag
Certes, les propositions d’Emmanuel Macron allaient plus loin mais celui-ci avait déjà réduit la voilure de son programme de réforme de l’Europe, admettant que l’Allemagne n’accepterait pas la création au sein de l’Union européenne d’une nouvelle institution parlementaire pour la seule zone euro et pas davantage la création d’un ministre des Finances.

S’il est en effet une constante de la politique européenne de l’Allemagne, c’est de chercher à entraîner l’ensemble des membres de l’Union. Autrement dit, les 27 sans la Grande-Bretagne, du moins si celle-ci la quitte effectivement. Ce à quoi l’Allemagne semble ne se résoudre que difficilement, Londres étant un partenaire politique et économique essentiel évoluant vers plus de marché et moins d’intégration.

Dans un entretien accordé à la Frankfurter Allgemeine Zeitung le 3 juin 2018, Angela Merkel a concrétisé les débuts de réponse qu’elle avait faites à Emmanuel Macron à Aix-la-Chapelle.

Tous deux ont réaffirmé leurs engagements lors du conseil des ministres franco-allemand de Meseberg le 19 juin. La chancelière accepte l’idée – à vrai dire prévue dans le contrat de coalition signé par la CDU-CSU et le SPD – d’un « budget d’investissement » de l’ordre de 1 à 2 dizaines de milliards d’euros pour permettre aux pays membres d’« atteindre plus rapidement une convergence économique ». Ce budget apparaît en Allemagne comme un complément aux effets redistributifs de l’aide apportée par l’Union européenne aux régions en difficulté.

Reste à préciser pour ce nouveau budget le calendrier de son introduction, sa place dans les structures européennes existantes et son contrôle parlementaire, en particulier par le Bundestag. Le mécanisme européen de stabilité (MES) est appelé à se transformer en véritable Fonds monétaire européen, à l’instar du FMI, afin de fournir à des pays membres en difficulté une aide financière remboursable de plus ou moins longue durée – mais sous condition, comme dans le cas du FMI, des réformes jugées nécessaires. Le Bundestag, conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral constitutionnel, devra être consulté.

La chancelière a également souhaité que le budget européen pour les années 2021-2027 soit bouclé avant les élections européennes de mai 2019 – un objectif raisonnable mais aussi une façon de remettre à plus tard des réformes qui nécessiteraient une révision des traités européens.

En matière de défense, « rendre possible ce qui est nécessaire »
Enfin, Angela Merkel a repris l’idée chère à Emmanuel Macron d’une initiative en matière de défense. Elle soutient la création d’une troupe d’intervention européenne mais, à l’inverse de Macron qui, pour des raisons de réactivité, souhaiterait la placer en dehors de la PESCO, celle-ci devrait être chapeautée par cette Coopération structurée permanente (Permanent Structured Cooperation en anglais).

On retrouve dans l’ensemble des réponses faites par l’Allemagne à la France les éléments d’un compromis entre politiques et stratégies différentes des deux pays : les deux États avancent pas à pas vers une proposition commune à faire aux pays membres de l’Union. Mais ce n’est pas une initiative-choc susceptible d’emporter l’enthousiasme, plutôt la politique dont un ancien homme politique allemand social-démocrate, Herbert Wehner, disait qu’elle était « l’art de rendre possible ce qui est nécessaire », mais qu’elle consistait également à « percer des planches de bois dures ».

L’exemple de l’initiative de défense est exemplaire des approches différentes entre la France et l’Allemagne : la première vise une plus grande autonomie par rapport à l’OTAN et souhaite créer des capacités d’intervention à l’extérieur qui puissent intervenir vite ; l’Allemagne continue, malgré son souci de prendre en compte la nouvelle donne américaine, de tabler sur la pérennité du lien transatlantique et reste peu disponible pour une politique européenne de puissance en raison de son histoire.

Mais cet accord peut-il entraîner le reste de l’Europe ?

Une force d’entraînement amoindrie
S’il reste vrai que rien en Europe ne peut se faire contre l’Allemagne et la France, il n’est dans le contexte européen d’aujourd’hui nullement assuré que la tandem franco-allemand ait la force d’entraînement requise.

C’est dû au positionnement des pays dits de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) qui n’ont pas acquis, près de 30 ans après leur indépendance et plus de 15 ans après leur entrée dans l’Union européenne, la même culture occidentale des valeurs européennes en matière de démocratie et d’État de droit, et restent globalement attachés à la protection américaine contre une Russie perçue comme hégémonique et potentiellement dangereuse.

Et surtout, la question migratoire a creusé le fossé entre Europe de l’Est et Europe de l’Ouest. Sans parler de l’Italie dont le nouveau premier ministre, Giuseppe Conte, a déclaré qu’il ne se rendrait pas au mini-sommet informel prévu le 24 juin à Bruxelles à l’invitation du président de la Commission européenne sur une idée d’Angela Merkel s’il s’agissait « de parler sur la base d’un document franco-allemand préparé d’avance ».

À Meseberg, la France et l’Allemagne venaient de faire cause commune sur la question du renforcement de la zone euro, mais Emmanuel Macron avait également soutenu le point de vue de la chancelière sur la crise migratoire, à savoir de trouver une solution européenne pour éviter que les États nationaux recourent à des mesures séparées, la France s’engageant à reprendre des demandeurs d’asile séjournant en Allemagne mais enregistrés en France. Cette mise en garde montre assez les limites actuelles du tandem franco-allemand.

Déchirements entre chrétiens-démocrates allemands sur la crise migratoire
De plus, la crise migratoire rattrape l’Allemagne, et tout particulièrement l’Union chrétienne-démocrate, CDU et CSU s’entredéchirant sur des questions de fond comme de détail qui n’apparaissent pas toujours rationnelles.

Des passagers du Lifeline, le bateau affrété par une ONG allemande, pris en charge par la police après leur débarquement à La Valette (Malte), le 27 juin 2018. Matthew Mirabelli/AFP

Le ministre fédéral de l’Intérieur, Horst Seehofer, est également président de la CSU bavaroise et entend, à ce titre, parler d’égal à égal avec la chancelière, présidente de la CDU, comme si la politique de la grande coalition relevait d’un accord personnel entre eux sans tenir compte du partenaire social-démocrate. H. Seehofer menace de recourir à des mesures nationales séparées à la frontière bavaroise si la chancelière ne parvient pas à un accord européen à l’issue du sommet de Bruxelles.

Il entend faire appliquer la règle de Dublin et renvoyer à la frontière les demandeurs d’asile enregistrés dans un autre pays d’accueil, se targuant, au nom de son autonomie de gestion ministérielle, d’avoir le droit de prendre de telles mesures, au besoin contre l’avis de la chancelière.

En Allemagne, un reflux drastique des demandes d’asile
Certes l’Allemagne compte aujourd’hui 1,41 million de réfugiés contre 402 000 en France et 355 000 en Italie. De 442 000 en 2015, les demandes d’asile sont passées à 722 000 en 2016, mais elles sont retombées à 198 000 en 2017. Et depuis le début de l’année 2018, le nombre de demandes enregistrées est inférieur à 70 000. Par ailleurs, il ne se présente guère actuellement de réfugiés aux trois postes-frontière bavarois où le ministre fédéral de l’Intérieur voudrait exercer ses prérogatives.

La CSU a pourtant choisi de mettre la crise migratoire au sein du débat politique au point de menacer de faire exploser le gouvernement fédéral et son appartenance commune au groupe parlementaire chrétien-démocrate au Bundestag. Les prises de position de H. Seehofer s’expliquent par la crainte que la CSU perde sa majorité absolue en Bavière aux élections régionales du 14octobre prochain. Elle poursuit l’objectif fort incertain de récupérer des électeurs de l’Alternative pour l’Allemagne dont le succès s’explique par la crise migratoire depuis 2015.

Horst Seehofer est d’autant plus enclin à adopter une position jusqu’au-boutiste que, chassé du poste de ministre-président de Bavière par son rival, Markus Söder, il souhaite s’affirmer comme président du parti pour ne pas en être également écarté. Par ailleurs, il y a dans l’affrontement Seehofer-Merkel un affrontement d’« egos » qui n’est pas sans rappeler celui entre Arnaud Montebourg et François Hollande en France en son temps.

L’extrême droite allemande en embuscade
Il reste que les objectifs poursuivis par Horst Seehofer d’une part et la CSU d’autre part ne sont pas clairs et certainement risqués. D’autant que la discorde entre les deux partis censés être frères semble leur nuire au plan national comme au plan local. Selon un sondage INSA du 26juin, la CDU-CSU ne récolterait pas plus de 29 % des suffrages des électeurs tandis que l’AfD passerait à 16 %. D’autres sondages sont, à vrai dire, moins alarmistes.

Quant aux élections bavaroises, le dernier sondage publié met la CSU à 40,4 % et l’AfD à 13,2 %,soit une baisse de 1,5point par rapport au sondage du mois de mai pour la CSU et un progrès relatif de 0,8 point pour l’AfD, tandis que toutes les autres formations progressent légèrement, à l’exception du SPD qui reste stable dans les intentions de vote.

Ce sondage montre, en tous cas, que la rhétorique anti-migratoire de la CSU ne la fait pas remonter : elle reste loin des 47,7 % obtenus en 2013, et plus loin encore des 60,7 % de 1998. À noter qu’en 2003 déjà la CSU (43,4 %) avait été obligée de former une coalition avec le FDP (Libéraux) sous la direction de Horst Seehofer !

Fin de partie pour Merkel ?
Jusqu’à preuve du contraire, la discorde entre Seehofer et Merkel a déjà nui aux deux partis lors des élections fédérales du 24septembre 2017. Peut-être faut-il voir là la relative patience de la chancelière qui vient, par ailleurs, à la veille du sommet de Bruxelles, de recevoir un soutien appuyé du Président fédéral, Frank-Walter Steinmeier, qui plaide pour une solution européenne négociée.

Quoi qu’il en soit et quels que soient les scénarios catastrophes qu’une telle situation ne peut qu’engendrer, la position de la chancelière est fortement fragilisée. Cela ne lui donne pas la liberté de manœuvre et la sérénité nécessaire pour envisager de grands projets en Allemagne comme en Europe. À ce point que le magazine hambourgeois Der Spiegel n’a pas hésité à faire sa couverture du 23juin sur le thème : « Endzeit » (Fin de partie), avec une Merkel représentée par ses mains formant un cœur. Tout en relativisant les choses dans la conclusion de l’article que cette couverture illustre : ce pourrait n’être que le début de son « crépuscule ».

Quant au premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, il a tenu à préciser qu’à Bruxelles on ne se rencontrait pas pour décider de l’avenir de la chancelière.

Jérôme Vaillant.

Professeur émérite de civilisation allemande à l’Université Lille III. Rédacteur en chef de la revue « Allemagne d’aujourd’hui ».

Délégué régional de l’AFDMA pour les Hauts de France.

 

 

« Europe de la défense : dépasser la politique des petits pas »

 

Tribune collective de l’Association EuroDéfense-France

 

Une défense européenne digne de ce nom se doit de garantir la sécurité de ses citoyens où qu’ils se trouvent, de protéger ses infrastructures et de défendre ses intérêts partout dans le monde. Or, peu d’Etats ont la capacité de répondre seuls à l’ensemble des besoins de défense. La complémentarité au niveau européen s’impose.

L’époque enthousiaste des pères fondateurs, au lendemain de la Guerre, a posé les bases de l’Union européenne. Si l’Europe économique est devenue une réalité, même imparfaite, l’Europe de la défense a vécu plusieurs échecs. Le traité instituant la Communauté européenne de défense en 1950 n’a jamais été ratifié. L’Union de l’Europe occidentale, de 1954 à 2011, est restée une coquille vide. Ce n’est qu’en 1999, après le sommet franco-britannique de Saint-Malo, que furent posées les bases d’une politique de défense au plan européen, avec de premiers fruits en 2003, où deux opérations militaires furent lancées sous la bannière bleue étoilée.

La politique de sécurité et de défense commune (PSDC), bras armé de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), était née. Elle a donné des résultats plus que positifs, malheureusement insuffisamment connus. En 15 ans, près de 80 000 hommes ont été engagés avec succès dans les opérations de l’Union européenne. Nous avons ainsi célébré le 30 mars les 15 ans de la PSDC opérationnelle, avec l’anniversaire du lancement de la première opération, Concordia, dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine.

Action extérieure et sécurité intérieure de plus en plus indissociables

Toutefois à l’échelle européenne et au regard des besoins, c’est peu. Nous restons à un degré d’engagement de portée limitée, que l’on peut qualifier de « niveau de laboratoire ». De plus, les actions du haut du spectre, envisagées parmi les types de missions élaborées à Petersberg en 1992, n’ont été que très rarement menées. Ces missions, dont l’objectif est le rétablissement dela paix, comportent des modes d’action robustes, incluant l’usage de la force. Continuer ainsi nesuffira pas. Pire, le modèle s’épuisera.

Les besoins ont évolué, face à un monde plus dangereux. Il devient difficile de dissocier action extérieure et sécurité intérieure dans la lutte anti-terroriste. Une défense européenne digne de ce nom se doit de garantir la sécurité de ses citoyens où qu’ils se trouvent, de protéger ses infrastructures et de défendre ses intérêts partout dans le monde. Elle doit pouvoir s’appuyer sur une « Base industrielle et technologique de défense européenne » (BITDE) qui soit apte à garantir l’autonomie stratégique européenne, en particulier l’emploi des matériels sans contrainte venant de l’extérieur de l’Europe. Cette BITDE est hélas insuffisante aujourd’hui, en raison notamment du périmètre réduit de la PSDC, maints domaines capacitaires n’étant pas couverts par celle-ci. Il y a là une véritable incohérence.

Peu d’Etats ont la capacité de répondre seuls à l’ensemble des besoins de défense. La complémentarité au niveau européen s’impose. Même la France, qui, en théorie, dispose des moyens d’assurer son autonomie stratégique, fait régulièrement appel à des soutiens extérieurs pour combler ses lacunes, principalement dans les domaines du renseignement et du transport stratégique.

Une approche globale et collective de la sécurité de l’Europe s’impose

La politique des petits pas a montré ses limites, malgré les récentes avancées concrètes que sont le fonds européen de défense, le processus annuel de revue coordonnée des plans nationaux de défense et la coopération structurée permanente. Il faut élever le niveau d’ambition inutilement censuré lors de la création de la PSDC et passer la vitesse supérieure. Une approche globale et collective de la sécurité de l’Europe par les pays européens est désormais indispensable, une approche qui englobe les aspects intérieurs et extérieurs, et qui soit partagée si possible par l’ensemble des Etats membres de l’UE et à défaut par le plus grand nombre.

Cela implique notamment une réflexion sur la complémentarité entre l’OTAN et l’UE. L’actuelle répartition des rôles entre une OTAN garante de la sécurité collective et une PSDC tournée exclusivement vers l’action extérieure n’est à l’évidence plus pertinente : elle ne permet pas aux Européens d’exercer collectivement leurs responsabilités de défense, en dépit des dispositions volontaristes prises récemment par ceux-ci pour resserrer leur coopération. Même la mesure phare de la complémentarité entre les deux organisations, l’accord dit de Berlin Plus, signé en 2003, qui donnait à l’Union un accès aux moyens de commandement de l’OTAN, n’est plus opérante en raison notamment du différent turco-chypriote.

Pour une politique de défense européenne complète et affirmée

Il est temps de s’engager dans une défense européenne vraiment assumée. La simple relecture des documents européens – le traité de Lisbonne de 2007, la Stratégie européenne de sécurité intérieure 2015-2020, la Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’UE de 2016 – fournit suffisamment d’éléments pour faire émerger une telle défense. La capacité d’agir sur l’ensemble du spectre des opérations, de l’assistance humanitaire à l’engagement de haute intensité, comprend, avec les opérations de projection, des opérations de solidarité et d’assistance mutuelle sur le théâtre européen. Ces dernières qui font partie de la défense collective, sont menées en cohérence avec les engagements pris au sein de l’Alliance Atlantique par les Etats qui en sont membres. Par ailleurs, les textes autorisent un niveau de flexibilité original : l’article 44 du traité de Lisbonne donne aux instances européennes la possibilité de déléguer la conduite d’une opération à un groupe d’États membres. Et la Coopération structurée permanente, récemment décidée, est le support adapté pour le développement de capacités nouvelles.

C’est une politique de défense européenne complète, affirmée, active et opérationnelle qui peut alors se mettre en place. Grâce à des Européens stratégiquement plus autonomes, elle devrait avoir pour première conséquence une évolution du lien transatlantique qui, tenant compte de l’histoire et de nos valeurs communes, devra être rénové. Rééquilibré et assumé, le nouveau pacte atlantique devra permettre à l’Europe de devenir un partenaire fiable, crédible et écouté.

Restent à définir les voies permettant cette évolution.

 

De nouveaux processus décisionnels aptes à la réaction rapide

Il faudra pour cela affronter les sujets de discordance ou de blocage entre Européens, plutôt que de les passer sous silence, de peur de détruire un hypothétique équilibre obtenu à force de concessions. Les règles d’engagement et les spécificités juridiques, notamment pour l’usage de la force, seront à harmoniser. Les processus décisionnels nationaux nécessiteront dans certains cas la définition de boucles courtes, permettant la réaction dans l’urgence, comme dans les catastrophes humanitaires. Il faudra travailler sur les contributions budgétaires des Etats pour les opérations, les rendre plus équitables et renforcer l’importance du fonds européen de défense.

Les principes suivants inspireraient la démarche. D’abord, les citoyens européens doivent recevoir des réponses simples et compréhensibles à leurs besoins de sécurité et de défense.

Aujourd’hui, si, selon l’Eurobaromètre de l’automne 2017, les trois quarts d’entre eux continuent à plébisciter l’Europe de la Défense, ils n’ont pas une idée claire de sa réalisation, tant les discours sur les rôles partagés entre l’Alliance Atlantique, la PSDC et la défense nationale sont complexes et indigestes. Quand nos dirigeants se seront engagés résolument pour une défense européenne souveraine, ils pourront apporter de telles réponses.

Terrorisme : des clauses de solidarité et d’assistance mutuelle à assumer

Le principe de la subsidiarité et de la complémentarité avec les Etats doit être préservé. La subsidiarité est incontournable, le domaine de la défense restant de la responsabilité des Etats et la souveraineté européenne ne pouvant s’exercer que grâce aux contributions de ceux-ci en troupes aguerries et en équipements. Si les menaces et les risques sont perçus avec un degré d’intensité différent selon les Etats, ils doivent conduire à la complémentarité des actions, basée sur les savoir-faire spécifiques de chacun. Par exemple, certains pays ont une culture de projection développée, comme la France ou l’Espagne, autorisant notamment l’intervention en Afrique. D’autres, comme l’Allemagne ou la Pologne, sont plus tournés vers la défense collective. Cela n’empêche pas chacun d’entre eux de participer aux missions, mais avec des degrés d’engagement différents. Les clauses de solidarité et d’assistance mutuelle entre les Etats, notamment en cas d’attaque terroriste, telles qu’elles sont décrites dans le traité de Lisbonne, ne doivent pas rester lettre morte ; elles doivent être assumées.

Construire la défense d’une « Europe souveraine, unie, démocratique »

C’est à ce titre que cette défense gagnera en souveraineté. Les initiatives lancées par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne de septembre 2017, comme le développement d’une capacité d’action autonome, autoriseront la continuité entre les Etats et l’Europe, comme celle entre missions extérieures et intérieures. L’autonomie stratégique d’une défense aux contours élargis pourra alors être soutenue dans le même périmètre par une BITDE ayant des capacités de recherche et développement complètes et autonomes. Il s’agira de gagner alors la bataille des normes industrielles.

Dernier principe, cette Europe de la défense souveraine devra multiplier les partenariats, notamment avec ses voisins immédiats. Elle renouvellera le lien transatlantique, rééquilibré grâce à un meilleur partage du fardeau.

Pour tout cela, un Livre blanc, dont EuroDéfense-France est un ferme partisan, s’avère nécessaire, avec l’établissement d’une feuille de route ambitieuse. Ainsi, pourra être construite la défense d’une « Europe souveraine, unie, démocratique » pour reprendre les termes du Président de la République.

Les signataires :

Membres du bureau de l’association EuroDéfense-France, les signataires sont :

Patrick Bellouard (président d’EuroDéfense-France, IGA 2S), Maurice de Langlois (général 2S, ancien directeur de recherche IRSEM), Jean-Didier Blanchet (ancien DGd’Air France), Jean-Charles Boulat (directeur des affaires UE et OTAN du groupe industriel Naval Group), François Bresson (général 2S, ancien directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale-IHEDN), Patrick de Rousiers (général d’armée aérienne 2S, ancien président du comité militaire de l’Union européenne), Michel Desmoulin (président d’honneur de l’Union des associations d’auditeurs de l’IHEDN), Jacques Favin-Lévêque (général 2S, ancien délégué général du Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres), Patrick Hébrard (vice-amiral d’escadre 2S), Jean-Loup Kuhn-Delforge (ancien ambassadeur), François Laumonier (ancien ambassadeur), Jean-Paul Palomeros (général d’armée aérienne 2S, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, ancien commandant allié transformation de l’OTAN), Jean-Paul Perruche (général 2S, ancien directeur général de l’état major de l’Union européenne), Claude Roche (ancien directeur de la stratégie défense d’EADS, vice-président de l’Académie de l’air et de l’espace), Philippe Roger (IGA 2S), Cyrille Schott (ancien directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice) et Denis Verret (président, DV Conseil).

Cyrille Schott est Délégué régional de l’AFDMA pour le Grand Est (Alsace).

 

SOMMAIRE  Allemagne d’aujourd’hui

N° 224 avril -juin 2018

(Extraits)

Editorial : Prix Charlemagne à Emmanuel Macron. Quelle relance de l’Europe ?,

par J. Vaillant

Documentation:  Prix Charlemagne 2018 à Emmanuel Macron

M. Philipp : Discours du maire de la ville d’Aix-la-Chapelle lors de la remise du Prix Charlemagne au Président Emmanuel Macron.

Traduit de l’allemand par Jérôme Vaillant

A. Merkel : Discours à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne d’Aix-la-Chapelle au Président de la République Emmanuel Macron le 10 mai 2018 à Aix-la-Chapelle.

E. Macron : Discours à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne d’Aix-la-Chapelle le 10 mai 2018 à Aix-la-Chapelle.

 

Compte rendus

G. Merlio : Où va la démocratie ? Marcel Gauchet confronté à quelques thèses allemandes.

 J. Poumet :  La nouvelle « querelle des images » : Faut-il revisiter l’art de RDA ?

B. Pivert : Hildegarde de Bingen et sa médecine – Réflexions sur un engouement.

 

L’actualité sociale par B. Lestrade.

Dossier : « L’heure zéro » (Stunde null) entre mythe et réalité dans la société et la culture.

 Un dossier dirigé par Sibylle Goepper et Dana Martin.

 

 

Les manifestations franco-allemandes

 

Cent ans après l’armistice de 1918, se tiendra du 11 au 13 novembre prochains, le Forum de Paris sur la Paix. 📍

Projet à l’initiative du Président français Emmanuel Macron, l’Ifri en est membre fondateur aux côtés du Ministère des Affaires Étrangères et Européennes, de la Mo Ibrahim Foundation, de la fondation Körber-Stiftung, de l’Institut Montaigne et de Sciences Po.

Inspiré par le modèle et la réussite de la COP21 , le #ParisPeaceForum sera un lieu d’échange et de débat mettant particulièrement en avant les initiatives de la société civile, un lieu de partage d’expériences et de solutions novatrices réunissant tous les acteurs de la gouvernance.

Vous portez un projet pour la paix et désirez le promouvoir ?
Rendez-vous dès maintenant sur l’espace des candidatures (ouvert jusqu’au 30 juillet 2018) ▶️ www.parispeaceforum.org/fr/porteurs-de-projets/

 

La vie de l’AFDMA

Les membres de l’AFDMA

Ils nous a quittés…

Le 2 juin dernier, Georges Denizot. A son épouse Anne-Marie, Déléguée régionale de l’AFDMA en Normandie, à leur famille et à leurs proches, nos plus sincères condoléances.

«  Georges et Anne-Marie Denizot étaient le couple le plus engagé dans les relations franco-allemandes que j’ai jamais connu » (Bernard Lallement).

 

Antoine Veil, dont le corps vient d’être transféré au Panthéon avec son épouse Simone, était membre de l’AFDMA.

Séminaire annuel du Bureau et des Délégués régionaux de l’AFDMA

Pour mémoire, il aura lieu du 17 au 19 octobre à Klingenthal, près d’Obernai.

 

Page « facebook » de l’AFDMA

En plus du site internet «www. afdma.fr », nous disposons d’un outil de communication supplémentaire sous la forme d’une page « facebook », sous l’appellation « Association Française des Décorés du Mérite Allemand ».

Cette page est régulièrement mise à jour et comprend, conformément à la mission de l’AFDMA, des informations sur la coopération franco-allemande, sur l’Allemagne et sur l’Europe. Elle permet une interactivité.

Venez nombreux la visiter et nous faire part de vos avis sur les sujets abordés.

 

APPEL / RAPPEL

La vie de l’AFDMA, ce sont aussi les cotisations de ses membres.

Merci de nous soutenir dans notre engagement.

Le montant reste inchangé en 2018 : 30€, à adresser par chèque dans les meilleurs délais à notre trésorier, Bernard Lallement, 142 rue Boucicaut, 92260 Fontenay aux Roses.

Pour tout virement, voici les coordonnées bancaires de l’AFDMA :

Compte n° 08231147386 auprès de la Caisse d’Epargne d’Ile de france

IBAN : FR76 1751 5900 0008 231 4738 636